La danse existe depuis le commencement des temps. Elle est préhistorique. L'homme ne l'a pas inventée, ni découverte, mais l'a toujours ressentie au plus profond de son âme. De tout temps, la danse a été considérée comme un besoin de l'homme.
C'est ce qui ressort de l'interview que Val Cheung Chak accorde ici à L'Express à l'occasion du dixième anniversaire de son atelier de la danse.
Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 29/9/1978
Q: Val Cheung Chak, votre atelier de la danse célèbre cette année son dixième anniversaire. Pour- riez-vous nous décrire la genèse de ce groupe.
R: Tout a commencé quand je suis venue à Maurice pour prendre part à un spectacle en tant que danseuse professionnelle il y a de cela une douzaine d'années. J'ai, par la suite, élu domicile ici car j'ai épousé un Mauricien.
Ce n'est cependant qu'un an et demi après mon arrivée à Maurice, soit en 1968, que j'ai présenté mon premier spectacle qui fut Paul et Virginie. Nous étions tous des débutants et ce fut le premier ballet dont j'ai personnellement réglé la chorégraphie. Ce premier essai connut un tel succès que nous fûmes encouragés à continuer et depuis, nous ne nous sommes jamais arrêtés.
Nous avons monté depuis, une vingtaine de ballets, dont plusieurs pour la télévision. Ceux qui m'ont procuré le plus de satisfaction personnelle sont : le ballet classique Pineapple Poil, que nous avons présenté dans le cadre d'un tour de l'île; il y eut aussi Kaléidoscope dont l'arrangement musical fut confié à Gérard Chasteau de Balyon. Je voudrais aussi mentionner deux autres pièces qui m'ont énormément plu. Que la fête soit et Le jour de l'homme furent montées avec la collaboration de Gérard Sullivan.
Q: Vous avez mentionné les spectacles conçus pour la télévision. N'est-il pas vrai de dire qu'une technique tout à fait différente est nécessaire dans ce cas-là?
R: En effet, car il faut alors prendre en considération les possibilités de manoeuvre des caméras. Ces spectacles sont plus difficiles à préparer mais ils sont très intéressants. Non seulement, on peut être filmé dans la nature, et c'est merveilleux de danser dans la nature, mais on peut aussi régler les moments précis des gros plans et permettre au public de voir ce qu'on veut qu'il voit. Une des grandes difficultés du spectacle sur scène est que beaucoup d'expressions subtiles du visage peuvent passer inaperçues.
Val Cheung Chak et Anita Desmarais. |
Q: Que pensez-vous du ballet classique?
R:Je risque ici de me faire des ennemis. L'entraînement classique est le meilleur qui soit, mais il ne devrait être, à mon avis, qu'un tremplin vers autres choses. C'est un fait que même les grandes compagnies de ballet classique, telles le Ballet royal et le Bolchoï, incluent désormais des ballets modernes à leurs répertoires.
Le ballet classique n'est pas non plus à la portée des danseurs mauriciens, car la perfection technique qu'elle requiert, exclut les non professionnels. Je tiens cependant à souligner encore une fois que l'entraînement classique est essentiel au début et c'est toujours par là que je commence avec les plus jeunes.
Q: Le ballet moderne diffère-t-il du ballet classique?
R:Dans le ballet classique, une technique très rigide est imposée qui laisse très peu de possibilités d'expression personnelle. Ce qu'on veut exprimer doit l'être à travers certaines normes. Il faut que chaque doigt soit dans la position voulue et même le nez doit être en harmonie avec le reste du corps.
Dans le ballet moderne, par contre, tout est possible. On invente, on fait des recherches et on s'exprime à loisir. Cela ne veut cependant pas dire que l'entraînement requis pour ce genre de ballet soit superficiel, au contraire.
La danse classique travaille surtout les jambes et les bras, le ballet moderne développe chaque partie du corps en insistant sur le jeu des épaules, du dos, du bassin, du cou, du plexus solaire et de l'expression du visage qui sont des parties du corps négligées par le ballet classique.
Pantomime. |
Q : La danse moderne permet-elle un plus grand changement de style?
K:Oui car les possibilités dans ce domaine sont infinies. Il y a toute une gamme de styles variant entre le jazz, le Rock-ballet (du style de Jésus Christ Super Star) et enfin le ballet contemporain.
Q : La danse, ce n'est pas le souci d'une attitude extérieure. On pourrait dire qu'elle émane du dedans d'un être et que ce sont ces sentiments subjectifs que dictent les gestes. Ceci étant le cas, comment peut- on "apprendre" la danse — même moderne — comme on apprendrait une autre discipline?
R:Pour exprimer ces sentiments qui proviennent du plus profond de l'être, il faut d'abord acquérir un corps souple où chaque muscle est parfaitement maîtrisé. Ce n'est donc qu'après un entraînement intensif qu'on peut se servir de son corps comme instrument d'expression.
Il faut aussi dire que ce n'est pas tout le monde qui peut s'exprimer. Même après l'entraînement, l'expression originale ne dépendra, finalement, que du talent du danseur.
Q : Cette expression personnelle étant aussi difficile, l'entraînement uniforme des danseurs ne risque-t-il pas de ne produire, à la fin, que des réactions stéréotypées?
R: Il est nécessaire, parfois, de former cette gamme de réactions stéréotypées. Prenez Le Lac des Cygnes, par exemple, où il y a vingt-quatre cygnes qui doivent s'exprimer de la même façon pour l'homogénéité du ballet.
Il y a aussi pour compenser ce côté-là, des cours d’expression corporelle où les élèves sont complètement libres de s’exprimer de leur propre façon. Durant ces séances, que j’inclus d’ailleurs dans mon cours de danse moderne, les élèves découvrent comment sortir de cette uniformité. Pendant ces séances, je leur demande d'exprimer non seulement des sentiments de joie, de haine et de chagrin, mais aussi de "devenir" les éléments de la nature, des bêtes et des reptiles.
''Sacrifice'', ballet africain. |
Q: On peut supposer que l'entraînement que vous donnez aux jeunes apporte un certain épanouissement à leurs personnalités. Pouvez-vous nous en parler?
R: En prévision d'une telle question de votre part, j'ai demandé à mes élèves de me donner leurs réflexions sur la danse. Voilà ce que certains m'ont dit: "graduellement, toute ma personnalité allait s'épanouir; j'allais me découvrir ... y a-t-il de plus grand bonheur, de plus grande récompense que de pouvoir évoluer sur scène, sous le feu des projecteurs, exprimant des sentiments enivrants et divins qui vous submergent au point de se sentir irréelle." Un autre a écrit ceci: "J'ai découvert une autre forme d'expression et de communication. Les mouvements sont des mots et notre propre corps peut parler et traduire son état d'âme". Et finalement: "seul avec la musique, avec son unique désir de communiquer sa joie et ses sentiments inspirés par la musique, le danseur brille de cet éclat nouveau que lui a donné la danse."
Q : Pourriez-vous nous parler maintenant de l'organisation au sein de l'Atelier de la Danse?
R: J'ai une école de danse classique et une école de danse moderne. Mais le groupe de 25 avec lequel je monte mes spectacles forme une entité différente. Ce sont des jeunes qui sont des passionnés de la musique; ils doivent l'être pour travailler si durement. Il faut, bien sûr, avoir acquis un certain niveau technique pour être membre de l'atelier, mais la qualité la plus importante est la bonne volonté, qui est absolument nécessaire et qui ne se trouve pas toujours chez les plus doués. Pour participer à des spectacles, il faut sacrifier ses après-midis, ses week-ends et toute la vie sociale en général. Mais on est récompensé par le plaisir de créer quelque chose et par la joie de travailler à l'intérieur du groupe.
J'ai été un des élèves de Val dans ma jeunesse à RoseHill. C'était une période formidable.
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