JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

26 July 2006

État d’illégitime défense

l'express du 26/07/2006

PAR JEAN-MÉE DESVEAUX

Le lecteur aura compris qu’il ne fait pas bon de scruter de trop près les égouts du Champ-de-Mars. Deux mois avant que n’éclate le scandale des paris illégaux impliquant les notables, clients de Farouk Joomun, nous avions dit qu’“il est nécessaire, à ce stade, de faire ressortir que le bookie a bon dos mais it takes two to tango”. Nous disions que sans la participation de propriétaires de chevaux, de jockeys et de propriétaires d’écurie “la magouille qu’on met sur le dos du fixed odd betting n’aurait pas eu de cours. Dans un pays où on dépense une centaine de millions sur l’ICAC, comment les avoirs de ces messieurs ne sont pas déclarés chaque année avec un suivi rigoureux au niveau local et international est une absurdité monumentale.” Les événements des dernières semaines corroborent admirablement une analyse que le président de l’Association d’encouragement du pur-sang (AEPS), Robert de Comarmond, avait pourtant traité de “postulats (…) relevant d’une opinion personnelle dénuée de tout fondement” et qui cacherait “la réelle motivation de Jean-Mée Desveaux”. Il nous menaçait alors de poursuites judiciaires.

Le président de l’APES nous avait sommés de lui fournir des noms sans quoi il se verrait dans l’obligation de référer notre crime de lèse-majesté aux autorités concernées. Nous pensons que les centaines de pages A4 des CD de Joomun sur lesquelles près de 200 noms sont révélés au grand jour sans code aucun (en sus de ceux des notables, eux codés) lui donneront une certaine satisfaction. Si cela ne lui suffisait pas, il pourrait approcher Michel Lee Shim, ex-président de la Professional Bookmakers Association (PBA) qui révèle au Défi-Turf que les premiers coupables de paris illégaux (avant même les bookmakers !) sont “les membres des écuries et leurs proches”.

C’est aujourd’hui au tour du Horse Racing Board (HRB) de nous envoyer une semonce pour nous dire que nous outrepassons nos droits d’éclairer notre lectorat. Nous avons mentionné la semaine dernière toute une série d’événements qui indiquaient clairement une volonté du gouvernement à faire piétiner sinon étouffer le scandale des parieurs fantômes et les courses arrangées qu’il implique. Nous nous demandions si la lenteur du HRB à fournir les informations requises par l’équipe de l’inspecteur Tuyau ne faisait pas partie de cette trame.

Le serveur où se trouvent les entrées concernant le chiffre d’affaires déclaré de Farouk Joomun se trouve à quelques mètres du bureau de Clive Auffray, le directeur du HRB. Ces informations étaient accessibles depuis le lundi 26 juillet, soit le surlendemain de la dernière journée concernée par l’enquête de l’Anti Drug and Smuggling Unit (Adsu). Or, plus de 15 jours plus tard, le HRB n’avait toujours pas expédié les returns de Joomun à l’Adsu et cela sans explication aucune. Cela contraste avec la vitesse éclair avec laquelle Clive Auffray nous sert une mise en garde le jour même de la parution de notre colonne. S’il avait voulu défendre l’honneur du gouvernement souillé par notre état des lieux, le directeur du HRB n’aurait pas pu faire mieux.

Mais il s’y prend mal. Clive Auffray aurait pu nous avoir donné la date de la requête de l’Adsu ainsi que la date de sa réponse. Nous aurions pris en considération le temps que prend le directeur pour parcourir les dix mètres qui le séparent du serveur et nous nous serions, sans hésitation, excusé d’un jugement trop hâtif si le HRB nous avait prouvé qu’il n’avait effectivement pas traîné les pattes de façon inacceptable. Mais motus et bouche cousue. De plus, notre collègue le mauricien confirme le lendemain de la parution de la colonne qui gêne le HRB que l’enquête a pris du retard à cause du manque d’empressement du HRB à jouer son rôle comme le demande la loi. Parlant de la confrontation de Joomun aux détails des CD, le mauricien avance : “L’exercice portera toujours sur les transactions enregistrées lors de la neuvième journée de courses en raison du retard du côté du HRB à fournir à l’Adsu les returns et documents officiels soumis par le bookmaker Joomun, selon les dispositions de loi régissant l’organisation des paris aux courses.” Week-End avait la semaine précédente été encore plus loin quand il avait dévoilé à ses lecteurs que “le HRB pourrait se faire tirer les oreilles (car) (…) plus d’une semaine s’est écoulée depuis la demande formelle de l’Adsu pour…les returns soumis par le bookmaker Farouk Joomun à cet organisme depuis le début de la saison hippique…Mais la transmission des documents se heurte à des obstacles d’ordre administratif.”

Le HRB nie aussi toute stratégie dans ses discussions avec les bookmakers qui viserait à légaliser les paris à crédit. Or, corroborant la véracité de nos informations, le Défi Plus publie :“Dans un proche avenir, les paris à crédit pourraient devenir légaux. En tout cas, c’est une des propositions qui ont été faites mercredi dernier (12 juillet), lors d’une réunion entre certains des représentants des bookmakers… et le président du HRB. Une deuxième réunion est prévue ce mercredi (NdlR : le 19 juillet).” L’hebdomadaire cite un représentant de l’association des bookmakers qui indiquerait que la légalisation des jeux à crédit serait en contrepartie d’une autre baisse de la “betting tax” des 8 % actuels à 5 %. Michel Lee Shim confirme dans son interview au Défi-Turf : “Stop credit betting ? Il n’y a pas de solution mais il y a un bon moyen pour s’assurer que le gouvernement et le Mauritius Turf Club collectent la taxe et leurs commissions. Le HRB est en pourparlers avec les bookmakers et très rapidement, une solution sera trouvée.” Fait étrange, ces articles, qui précèdent le nôtre de cinq jours, ne créent aucun émoi au sein du HRB.

Le directeur du HRB “réitère toute sa collaboration à n’importe quelle institution concernée pour tout cas où il sera sollicité”. Pour l’instant, on ne peut s’empêcher de penser que le HRB collabore surtout pleinement avec les autorités gouvernementales ; le choix d’un bookmaker, main droite d’un ministre fortement impliqué dans le domaine des paris pour ces “pourparlers”, n’en est qu’une autre preuve flagrante. Clive Auffray pourrait facilement nous prouver que nous avons tort de sous-estimer l’indépendance du HRB en nous rassurant que, si la chance venait encore à sourire aux bookies en cour, le régulateur des courses ne renouvellerait pas leur contrat au début de la nouvelle saison hippique en vue d’assainir le domaine des courses hippiques, mission première du HRB ; le HRB Act dit, en effet, à la section 16, qu’aucune licence ne saurait être octroyée à moins que le candidat soit un “fit and proper person”.

En ce qui concerne l’angle juridique de cette affaire, un nouvel anneau qui boucle la boucle vient s’ajouter à la longue liste des chances inouïes du bookmaker. Le HRB Act prévoit à la section 19 que là où le licence holder “fails to comply with any condition of the licence”, les sanctions de suspension ou de révocation de sa licence peuvent être appliquées par le HRB. Or Farouk Joomun, dont le silence est d’or, a seulement écopé d’une accusation de fraude fiscale. Il aura à payer les impôts dus avec une pénalité. Même l’observateur le plus amorphe de cette saga ne peut s’empêcher de se demander qui détermine la charge dans de tels cas. La réponse est à la section 52.9 du HRB Act, où il est écrit “ the prosecution of any affair is (…) at the sole discrétion of the Director of Public Prosecution” qui comme nous le savons n’a aucune obligation à motiver sa décision. C’est lui aussi, d’après le HRB Act, qui décide si l’affaire est poursuivie au niveau de la cour de district, de la cour Intermédiaire ou de la cour suprême, c’est-à-dire de sa gravité.

Si Joomun était dans une mauvaise posture légale, rien ne pourrait l’empêcher de divulguer l’identité des 25 notables qui seraient ainsi passibles de poursuites, en sus des 200 noms non codés. Ainsi, à travers ses relations saugrenues, le bookmaker tient tout le processus judiciaire du pays solidement ligoté à ses cordes vocales. L’homme de loi du bookmaker Joomun, Me Raouf Gulbul, confirme avec beaucoup de candeur l’hypothèse de l’express selon laquelle “il s’agirait de la raison pour laquelle l’Adsu aurait agi avec délicatesse et doigté, sur les conseils du State Law Office” pour poursuivre Joomun pour un délit mineur. “Si les enquêteurs de l’Adsu adoptent cette démarche (poursuivre Joomun pour paris illégaux et à crédit), ils seront obligés de poursuivre les parieurs, y compris les personnalités.” Il n’est donc pas étonnant de constater le silence de Farouk Joomun. La saga Air Mauritius démontre clairement jusqu’ici que seuls ceux qui se repentent, crachent le morceau et repaient leur dette à la société finissent en tôle. Toute une nouvelle génération de Mauriciens est à l’écoute quand au mode optimal de doing business in Mauritius.

Le pays aura noté ces derniers jours que l’Icac a enfin compris qu’il ne pouvait pas prétendre que la saga de Joomun n’était qu’un mauvais rêve. Mais au lieu de s’inquiéter des fortunes ostentatoires de certains bookmakers et jockeys, des liens occultes entre le gratin local et le milieu des courses arrangées, des possibilités de pression de la pègre sur les institutions de l’état, de la provenance douteuse d’investissements colossaux , du “money laundering” que recouvre tout ce qu’on constate au Champ-de-Mars ces jours-ci, L’Icac a décidé de réactiver le dossier d’une cliente du bookmaker Joomun qui a déposé une somme d’un million à sa banque… il y a trois ans. On suppose que c’est le moyen le plus direct que l’Icac a trouvé pour remonter jusqu’à Farouk Joomun. Même un peuple habitué aux diversions de tout genre ne peut s’empêcher de trouver celle-là vraiment divertissante.

20 July 2006

Paris illégaux : le Horse Racing Board précise

l'express du 20/07/2006

À la suite d’un article de presse de l’express -économie & business dans une analyse signée Jean-Mée Desveaux, parue le mercredi 19 juillet 2006, le Horse Racing Board tient à préciser :

(i) Le Horse Racing Board a toujours travaillé et travaille toujours en étroite collaboration avec les officiers de l’Anti-Drug Smuggling Unit (Adsu) et jusqu’à présent a toujours collaboré pleinement pour faire avancer l’enquête dans le cas du bookmaker Farook Joomun. Cela peut être vérifié auprès du Deputy Commissioner of Police, M. Rampersad Sooroojebaly, directeur de l’Adsu qui est aussi un membre du Horse Racing Board, ou auprès du surintendant Soopaya Padyachi.

(ii) Le Horse Racing Board et l’Adsu ont eu plusieurs réunions de travail pour les besoins de l’enquête concernant le cas du bookmaker Farook Joomun et donc la question de refus de coopération évoquée par M. Jean-Mée Desveaux avec n’importe quelle autorité ne se pose même pas.

(iii) Le Horse Racing Board, comme régulateur, a accédé à la demande des bookmakers pour une réunion pour les entendre et il n’a jamais été question de “parlementer avec les bookmakers afin de légaliser le credit betting ou de le faire de manière rétroactive” car le Horse Racing Board n’est pas habilité à légiférer;

(iv) Une enquête policière est en cours et le Horse Racing Boad n’est pas en mesure de faire des déclarations mais rassure qu’en aucun cas le Horse Racing Board ne prendrait des mesures pour blanchir les “fameux notables”, comme allégué par M. Jean-Mée Desveaux.

(v) Le Horse Racing Board ne réitère toute sa collaboration à n’importe quelle institution concernée pour tout cas où il sera sollicité.

Le Horse Racing Board a pris note des allégations faites par M. Jean-Mée Desveaux et l’invite à apporter ses preuves au siège du Horse Racing Board où de les faire parvenir auprès du directeur de l’Adsu le plus rapidement possible.


Clive AUFFRAY
(Directeur Horse Racing Board)

19 July 2006

L’Etat voyou


Par Jean-Mée Desveaux
L’express du 19 juillet 2006

Le plus grand pessimisme est de mise pour l'avenir de ce pays. La survie d'un Etat repose essentiellement sur l'indépendance des gouvernants vis-à-vis des groupes de pression qu'il est censé garder dans les rangs. Quand cette souveraineté est assujettie aux pressions de la pègre, l'Etat de droit fout le camp et cède sa place à l'Etat voyou.

L'État avait pris un pari risqué en s'attaquant de front aux véreux du Champ-de-Mars en 2002. Dans un désir d'assainir les courses hippiques, il avait mis en place toute une stratégie qui visait à contenir les excès mafieux de certains éléments du Champ-de-Mars et les bookmakers sans scrupules, leurs alliés. Une rigoureuse police des jeux fut instaurée, un software server imposé aux bookies et le Tote off course autorisé pour dissuader les paris illégaux. Ces mesures avaient soulevé une résistance farouche chez les bookmakers organisateurs defixed odd betting par qui le scandale arrive. Mais le gouvernement tint bon.

Dire que le gouvernement MSM-MMM a perdu les élections parce que les bookies ont arrosé l'Alliance sociale serait une exagération. Ce qui compte, c'est la perception qu'énormément d'argent a circulé durant la dernière campagne afin de leur infliger un tel châtiment que tous les politiciens se souviennent longtemps qu'ils ont intérêt à respecter les seigneurs du jeu qui peuvent faire et défaire un gouvernement à leur guise. La leçon a marché, comme on le constate :

1)            L'ex-ministre des Finances Bunwaree n'étant pas au courant que les chèques sont fait exprès pour éviter de transporter du liquide sur soi, excuse les paris à crédit : "Ily a un problème de sécurité en ce qui concerne les gros joueurs qui vont jouer au Champ-de-Mars.... Ils viennent avec des centaines de milliers de roupies... Il faut se mettre à la place des joueurs". Le ministre est un bon patriote qui s'inquiète de l'apport que représentent les jeux au sein de l'économie.

2)            L'ASP Radhoa, qui a ses entrées au bureau du PM, considère lui aussi que les attributions du Horse Racing Board doivent être revues pour permettre les paris à crédit. Il reconnaît avoir été approché pour remplacer le remuant Inspecteur Hector Tuyau qui crée tant de controverses avec ses "opérations coup de poing". Epidermique comme d'habitude, il compte éclaircir, au niveau d'un serveur inexistant au MTC, l'affaire des CD, insinuant que cette histoire a plus à faire avec "les gros paletots du MTC" qu'avec les bookmakers...

3)            Le Horse Racing Board, dont le président est choisi par le pouvoir, prend le temps qu'il veut pour répondre à l'Adsu qui lui a réclamé tous les returns soumis par le bookmaker Joomun afin de contre-vérifier la teneur des CD. Ce refus de coopération est grave et va à rencontre de l'intérêt du HRB, car l'Adsu doit pouvoir démontrer que les paris à crédit sur les CD n'ont pas été enregistrés sur le serveur du HRB. De plus, le même HRB s'apprêterait - première mondiale - à parlementer avec les bookmakers afin de légaliser le crédit betting. Le HRB qui aurait, en ce faisant, perdu son intégrité institutionnelle, devra, pour ce faire, pousser la complaisance jusqu'à légaliser le pari à crédit de façon rétroactive. Il est évident que ce n'est qu'à ce prix qu'on arriverait à blanchir les fameux notables, sans oublier M. Joomun qui, outre la liste gravée sur CD, doit avoir, gravé, dans sa mémoire, de quoi faire perdre le sommeil à beaucoup de nos princes.

4)            Il y aussi le flou autour de ce qui empêche l'Adsu de demander à un juge l'autorisation de vérifier les appels sur le téléphone du bookmaker. Que l'homme de loi du suspect pense que ce serait là une attaque au droit fondamental de la vie privée est tout à fait naturel. L'Adsu doit permettre au pays de constater si ce point de vue, pour le moins équivoque, est partagé par le judiciaire qui n'a jusqu'ici pas eu de raisons de rougir de ses décisions.

5)    Cette liste de la bonne fortune du bookmaker et de ses clients louches se serait heurté à un obstacle majeur si les CD avaient livré leur secret de façon immédiate et complète. Mais ils doivent être très mal­heureux en amour car leur chance inouïe aux jeux continue. Après avoir essayé de nous faire croire qu'un "CD read-only"peut être infecté d'un virus, c'est aujourd'hui  le programme sur le computer de l'Adsu qui s'est soudainement auto-infecté. Mais pourtant, contrairement à des données qui, une fois corrompues sont perdues à jamais, un pro­gramme lui se remplace par un autre du même genre. Mais, Big Brother est là qui surveille la liste des protégés de l'Etat. Ainsi, des hommes du service de renseignements se sont rendus à la cybertour samedi et ont terrorisé un informaticien du privé qu'on soupçonnait vouloir révéler le nom des notables en question.

6)        Last but not least, le Premier ministre de la République a per­sonnellement démenti la présence des membres du gouvernement sur les fameux CD de parieurs à crédit et rappelé qu'une loi bâillon­nerait bientôt la presse, ce qui souligne donc où le PM situe l'intérêt de son gouvernement vis-à-vis du scandale.
Navin Ramgoolam n'est pas le seul à vouloir taire les excès de ceux qui s'enrichissent de façon hautement illicite aux courses. Lorsque nous avions mis le doigt précédemment sur les égouts du Champ- de- Mars, des propriétaires de chevaux s'étaient offusqués. Nous leur avons donné neuf raisons de modérer leur assurance. Nous nous devons d'aller plus loin car il y va, entre autres, du blanchiment d'ar­gent de la drogue qui tue nos enfants et cela, fait inhabituel chez nous, sans discrimination aucune.

Faire un pari à crédit, c'est essentiellement jouer avec de l'argent qu'on ne possède pas... encore! Un bookmaker mal intentionné s'ap­proprie la volonté d'un homme et son allégeance avec un tuyau encore plus facilement que le vaudou ne crée sa momie. Il vous passe le tuyau d'un cheval qui "ne peut pas perdre". Vous y croyez tellement que vous misez "avec des centaines de milliers de roupies"(Bunwaree dixit). Votre cheval perd et vous êtes assis sur une dette que vous ne pouvez pas honorer. Aucun problème. Votre gentil bookmaker vous permet de vous rattraper mais à la fin de la saison vous lui êtes redevable d'une somme qui dépasse les millions. Vous avez alors le choix. Si vous avez un peu de patrimoine, vous pouvez vendre la voiture ou la maison familiale. Si cela est trop pénible, il vous reste le choix de lui donner un petit coup de main de temps en temps au sein de votre activité pro­fessionnelle peu importe quel que soit votre secteur d'opération. Tout le pays se gangrène ainsi, petit à petit, autour des paris à crédit, à pre­mière vue si anodin. Ce phénomène, ajouté à celui du financement politique, suffit à mettre tout un pays à genoux. Que cela ne semble pas du tout émouvoir la population explique l'audace des princes de l'Etat pour qui cette apathie nationale est une manne.

Dans un pays où 70 % des chevaux appartiennent aux bookma­kers ; où un homme du pouvoir s'affiche avec l'élément le plus dan­gereux de la pègre des jeux, celui-là même qui bien que banni du Champ-de-Mars possède une dizaine de chevaux et "organise la stra­tégie" des courses d'au moins deux écuries ; où le jockey retire son pied de l'étrier pour ramener docilement le favori au paddock, ce pays-là prend des allures d'un endroit où il ne fera pas toujours bon vivre.

L'ancien jeune patron de l'Icac avait démontré, dès la première semaine où l'affaire Lesage a éclaté, qu'il n'avait pas l'étoffe requise pour cette illustre position. Il n'avait pas trouvé nécessaire de renvoyer son cours de formation d'une semaine à Londres pour s'atteler au plus grand scandale financier du pays. On pouvait déjà prédire que .M. Lesage continuerait à vivre tranquille et que M. Appassamy ne viendrait pas de sitôt au pays à moins que ce ne soit de son plein gré.

Aujourd'hui que le plus gros scandale des courses truquées et des paris à crédit compromet les plus grandes têtes du pays, la nation toute entière se tourne vers le nouveau patron de l'Icac. S'il ne juge pas qu'il existe assez d'éléments pour que cette institution se saisisse de ce dossier, il donnera l'impression d'être disposé à être encore plus docile envers Navin Ramgoolam que ne l'était son prédécesseur vis- à-vis de sir Anerood Jugnauth, ce qui n'est pas peu dire.

l' express du 19 juillet 2006

12 July 2006

Le coût politique de la bonne gouvernance

l'express du 12/07/2006

Par Jean-Mée DESVEAUX

Si ce qui se tramait dans les coulisses de l’hôtel du gouvernement était arrivé à son aboutissement naturel, Navin Ramgoolam aurait encore une fois eu raison. Il n’aurait plus été l’homme que le pays avait connu durant son premier mandat. Il aurait vieilli et très mal en plus. Six ans et une traversée du désert auraient suffi à mollifier la fermeté du jeune Premier ministre qui avait exigé une si grande probité de ses ministres qu’il n’hésita pas à jeter deux d’entre eux à la poubelle de l’histoire à la veille des élections générales de 2000.

La République avait été fière alors d’avoir un homme moderne à la barre, qui inspirait le respect de par sa volonté de moderniser le pays et d’instaurer des mœurs politiques westminstériennes.

La tentation éhontée de dessaisir l’inspecteur Tuyau de ses dossiers à la police des Jeux pour la deuxième fois consécutive démontrerait aujourd’hui que l’homme d’Etat moderne a cédé sa place à un vieux potentat qui exhibe du mépris pour ceux qu’il gouverne. L’opprobre qu’une telle démarche aurait attirée au pays en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, aurait nui à l’image d’une place financière qui se prétend respectable.

Mais la tentation ne surprenait pas. On pouvait, dès le départ, déceler ce virage vers un Etat louche avec la décision ramgoolamienne de se défaire totalement de tout processus de passation de marché transparent concernant les grands contrats entre l’Etat et le privé. Le processus rodé de “Request for Proposals” au sein du CEB, qui a durant les cinq dernières années forcé la concurrence entre les “Independent Power Producers” afin d’obtenir “value for money” pour le contribuable sur de très gros contrats, a été remplacé par un système opaque à souhait qui permet tout les passe-droit qu’on peut deviner. Le lait, l’électricité, les produits pétroliers de la STC (et la liste est longue), tout se fait aujourd’hui à la tête du client ou pire. Le comble c’est qu’on nous prend pour un peuple imbécile qui gobe l’intox travailliste selon laquelle un système opaque de grès à grès avec les petits copains du pouvoir est à l’avantage de l’Etat. L’attribution des gros contrats sans appel d’offres est visiblement une telle aubaine pour ce gouvernement qu’on se demande si l’existence du Central Tender Board lui-même n’en est pas menacée.

L’arrogance d’un ministre du Tourisme qui refuse aux parlementaires des réponses qui leur sont dues concernant le CEO du transporteur national suit la même impudence. Tout cela est possible parce que Navin Ramgoolam se sent très fort politiquement. Au lieu de continuer à utiliser cette confiance à bon escient, comme il l’a fait au sujet du budget Sithanen, il défie l’opinion publique avec un cynisme qui dirait, à l’instar du patron de la MBC: “Si ça vous dérange de me voir simultanément sur les trois chaînes de télévision nationale, vous n’avez qu’à éteindre la vôtre !”

Le PM a tort. D’abord la tolérance qu’il démontre vis-à-vis de ces brebis galeuses ne peut que le diminuer aux yeux de ses propres troupes. On respecte un chef qui sait faire la différence entre le bon grain et l’ivraie et qui sait sévir quand il le faut. On ose espérer qu’il existe dans l’entourage du PM une majorité de gens corrects. Ceux-ci ne pourront pas s’empêcher d’être démotivés de suivre le droit chemin pour finir dans le même panier que les scélérats de la classe politique. Un vrai leader a la mission sacrée d’éviter cela.

Le PM a ensuite tort parce qu’au bout de douze mois au pouvoir, le pays peut constater que ce gouvernement n’a encore rien réalisé de positif, à part des bonnes intentions qui ont été énoncées lors du budget il y a un mois seulement. La majeure partie de ces intentions n’est, du reste, que des intentions pour l’instant. Il est même permis de croire que certaines de ces intentions courageuses sont déjà remises en question quand on sait que les syndicats amorcent un nouveau dialogue avec le Pay Research Bureau qui était censé disparaître avec la venue d’un marché de travail dérégulé.

Mais le PM aurait surtout tort de donner si peu d’importance à la “good governance” parce qu’il est censé remettre un pays en désarroi économique sur les rails et que l’équation essentielle sur laquelle se base son ministre des Finances pour le faire, repose sur la capacité du pays d’adhérer aux principes de bonne gouvernance. Rama Sithanen dit avoir besoin de Rs 160 milliards de l’extérieur pour remettre l’économie à flot. Comme on est loin de pouvoir compter sur des FDI ou encore une avalanche d’“equity capital” dans la Bourse de Port-Louis, la majeure partie de cet argent devra provenir des bailleurs de fonds. Ceux-là se nomment European Investment Bank, Union européenne, Banque mondiale et Fonds monétaire international et chaque sou transféré a un “string attached”.

La tâche ingrate de Rama Sithanen sera de convaincre l’Union européenne (UE) de permettre à Maurice de bénéficier de mesures d’accompagnement économiques au-delà des 15 % de plafond imposés par les européens suite à l’effondrement du prix du sucre. Si l’UE venait à accéder à cette demande, l’excédent accordé à Maurice serait un manque à gagner cruel pour des pays extrêmement pauvres au sein des ACP. On ne convaincra pas les Européens de notre dénuement relatif à ces pays quand nous affichons une prodigalité et un manque de rigueur indécents dans la demeure.

De plus, l’aide européenne durant le neuvième FED était sectorielle. Il privilégiait le gros dossier du tout-à-l’égout. Le dixième FED, lui, se fera par un apport budgétaire direct à l’Etat qui garantira un droit de regard de l’UE sur nos pratiques budgétaires et autres gros contrats que signe l’Etat avec le privé. Les Européens finiront un jour par nous faire comprendre que les fonds de leurs contribuables, qu’ils mettent gracieusement à la disposition d’un pays comme le nôtre, ont des limites et que cette limite est atteinte quand un pays démontre une incapacité de transparence et de bonne gouvernance.

Il y a ensuite la Banque européenne d’investissement (BEI), qui était l’adjudicataire des mesures d’accompagnement qui nous colla un plafond de 15 %. Un représentant de cette institution nous visite régulièrement de par la participation de la BEI aux investissements de la Cargo Handling Corporation et d’Airports of Mauritius. Au-delà même des ambassades des pays de l’UE à Maurice, le représentant de la BEI est le partenaire privilégié de la Commission européenne. Or, c’est un monsieur qui fut indigné par le traitement que subit Cash, professionnel de niveau international, aux mains de M. Vijay Poonoosamy. Il doit être très impressionné aujourd’hui par le nouveau CEO qui a démontré que sa priorité à AML réside, comme ce fut le cas chez Poonoosamy, dans le nombre de chevaux de sa voiture de fonction. Si la connaissance de ces messieurs en matière aéroportuaire dépassait ce que peut contenir le dos d’un timbre-poste, on pourrait convaincre la BEI de faire la part des choses et de ne pas trop s’inquiéter pour les milliards qu’elle consent à prêter à AML.

Mais, plus grave encore, c’est ce représentant de la BEI qui fut visiblement choqué d’apprendre que le contrat de la centrale thermique de Belle-Vue fut octroyé en 2000 sans aucun appel d’offres, alors que la BEI y était partie prenante. On devine ce qu’il pourra conseiller à M. Mandelson que rencontre Rama Sithanen en ce moment, quand il lui apprendra qu’une demi-douzaine de projets d’“Independent Power Producers”, les uns plus mirobolants que les autres, ont reçu l’aval d’un gouvernement quémandeur d’aide de l’UE dans l’opacité la plus complète.

Le docteur Ramgoolam aurait donc intérêt à comprendre que la bonne gouvernance est de nos jours bien plus qu’une question d’éthique ou même d’esthétique. Il peut se croire le roi Pétaud à Maurice, mais s’il persiste à donner de mauvais signaux aux observateurs internationaux, ils lui retireront leur soutien bien avant qu’un peuple aux réflexes moins lestes ne leur emboîte finalement le pas.

05 July 2006

Ave Mugabe ! Celui qui te sert te salue

l'express du 05/07/2006

par Jean-Mée DESVEAUX 

Si le ridicule pouvait tuer, nous serions à la veille de nouvelles élections partielles. Le très honorable Asraf Dulull, ministre des Terres et du Logement, a déclaré la semaine dernière sa détermination à démocratiser l’occupation des Pas géométriques. “Les terres de l’État ne sont pas réservées aux riches. Il n’est pas possible qu’une seule catégorie de personnes en jouisse”. L’île Maurice sait pouvoir compter sur lui pour étendre cette jouissance là où il l’entend.

Le Premier ministre (PM), Navin Ramgoolam, couvrant lui aussi ce thème au congrès du Parti travailliste, essaye d’atténuer l’aspect émotionnel du dossier. “Nous ne sommes pas en train de mettre une taxe sur la couleur et tous ceux qui ont un campement ne sont pas forcément riches.” Cependant, dit-il, ceux qui possèdent des campements mais ne désirent pas honorer les nouvelles conditions de bail n’ont qu’à vendre leur propriété. Le PM avait déjà visité ces eaux troubles lors des Assises du tourisme quand il avait émis le souhait que l’industrie du tourisme “profite au plus grand nombre et pas seulement à un groupe restreint… qui dispose des droits d’exploitation des sites les plus magnifiques du pays”.

Cette phrase donna lieu à une divergence d’analyse entre Cyril Vadamootoo, conseiller du PM en tourisme et votre correspondant, deux mois avant le discours du budget. Nous avions, en nous référant à l’ambition du PM d’accueillir deux millions de touristes, suggéré que Navin Ramgoolam semblait oublier qu’il est à la tête d’un “État confetti où les plages capables de recevoir des infrastructures hôtelières cinq-étoiles n’existent plus depuis quelque temps déjà”.

Nous disions aussi : “(...) si certains campements devraient céder la place au parc hôtelier pour l’avancement de l’industrie touristique, le succès de cette stratégie dépend essentiellement de la manière de faire du gouvernement. On pourrait pour une fois déroger à la tradition de tout faire à la dernière minute avec un maximum de coût en drame humain et en termes de fissure du tissu social du pays.

Le temps presse ! Des 1 243 campement site leases, environ 500 arrivent à expiration en 2020 et le reste y arrive en 2040. L’État pourrait, dans l’exercice de sa cruelle souveraineté, utiliser l’article 15 des baux qui lui permet de donner trois mois de préavis aux “propriétaires” de campements avant de reprendre possession du site ayant accordé, au préalable, Rs 20 000 en guise de compensation maximale comme stipulé dans les contrats. Il pourrait aussi, avec une indifférence non moins cruelle, laisser les baux expirer naturellement avant de demander aux occupants de décamper des terrains de l’État avec leurs bâtiments dans un délai de quelques mois, comme l’exige la loi. Il pourrait inversement procéder rationnellement en utilisant au maximum les années qui restent à ces baux afin d’établir un dialogue entre futurs hôteliers et “propriétaires” de campements avant que la valeur de ces baux n’atteigne le niveau zéro.”

N’ayant pas jugé bon d’annoncer, lors du discours du budget, la politique de swap que nous avions évoquée alors, il semblerait depuis la semaine dernière que c’est chose faite. Asraf Dulull a annoncé : “Nous avons effectivement l’intention de reprendre certains campements sites pour des projets de développement”. Il va de soi, comme nous l’avions suggéré alors, que l’État payera un dédommagement aux “propriétaires” dont les terrains ont de tels potentiels touristiques en tenant compte des années qui restent à ces baux ainsi que de la forte rentabilité de leur nouvelle vocation. Cela permettra un réel win-win au sein d’un accord entre les promoteurs et les propriétaires avec l’État comme observateur. Mais cette idée avait la particularité d’ulcérer monsieur Vadamootoo à tel point qu’il a publiquement exprimé son profond désaccord dans un article intitulé : Campement sites: Against expropriation.

Vacillant entre deux attitudes vis-à-vis des propriétaires de campement, Cyril Vadamootoo conduisit une analyse qui lui fait éloge de par le fossé qu’il révèle publiquement entre le gouvernement qu’il sert et lui. “Jean-Mée Desveaux’s suggestion to encourage investors to negotiate with these leased land beneficiaries for future investment would seem to me a solution that would further encourage the appetite of those who are already over privileged”. Mais d’autre part, ajoute-t-il : “Jean-Mée Desveaux expanded further in his article (…) that these lands obtained by beneficiaries should be taken back by the Government (…) so as to make way for investors in the hotel industry who need beach frontage, …. His audacity to suggest the expropriation of land from these people can lead me to think that this totalitarian dictatorship is not at all in keeping with the democratic state of Mauritius.”

Ce n’est qu’aujourd’hui, après que le gouvernement Ramgoolam eut rendu explicite sa politique sur les Pas géométriques, qu’on peut apprécier à sa juste valeur le caractère hors du commun du conseiller Vadamootoo. Il n’est pas commode de conseiller le chef du gouvernement. Comme dirait le sergeant du Pirates of Penzance : “An adviser’s lot is not a happy one!” D’abord le PM a ses idées et même si elles ne sont pas toujours bonnes, c’est lui le patron. Il a des contraintes qui peuvent échapper au conseiller. De plus, si le conseil est accepté et mène à un succès retentissant, le conseiller n’entendra jamais plus parler de la chose. Mais si le conseil est suivi et se casse le nez sur des écueils non anticipés, c’est la crédibilité du conseiller qui prend un mauvais coup. Dépendant de son tempérament, il pourra donner “un conseil à prendre ou à laisser”, sans grand engagement personnel; une fois le conseil rejeté, il passera à autre chose. Il peut aussi épouser la stratégie qui est une virtuosité chez certains, de deviner ce que veut le boss pour ensuite le lui servir sur un plateau. S’il est du genre bulldog qui ne lâche pas prise, il reviendra à l’attaque à chaque occasion qui lui est offerte dans un cadre dicté par la relation qui existe entre lui et le chef du gouvernement.

Mais, pousser la conviction personnelle comme le fait Cyril Vadamootoo, jusqu’à descendre publiquement la politique gouvernementale sur les baux juste avant qu’elle ne soit annoncée dans le discours du budget, ça c’est faire preuve d’un caractère que très peu de conseillers ont démontré jusqu’ici. Le PM devrait le chérir.

Dans son article qui devrait être à la table de chevet de tout propriétaire de campement, si ce n’est chez leur homme de loi, Cyril Vadamootoo établit que le gouvernement n’a légalement pas le droit de reprendre les baux des Pas géométriques à leur expiration. Pire, ce serait, selon lui, faire fuir les investisseurs que le gouvernement prétend vouloir attirer :

“It is important to note that Jean-Mée Desvaux may not be aware that Mauritius after independence had signed many bilateral agreements, solidly binded on the parties, concerning the expropriation of properties by the Government, depriving the citizens of these countries of their legal property rights. In other words, any sugar coated package, implicating expropriation will not be tolerated even if it is compensated at market value. Here may I add that all the efforts being made by the Government and the private sector over the years to encourage foreign investments would be destroyed and hence sending the wrong signals to potential investors in the near future. This would be totally catastrophic for the country or for that matter, if this policy is accepted, let us say right away Long Live Mugabe”.