JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

12 July 2006

Le coût politique de la bonne gouvernance

l'express du 12/07/2006

Par Jean-Mée DESVEAUX

Si ce qui se tramait dans les coulisses de l’hôtel du gouvernement était arrivé à son aboutissement naturel, Navin Ramgoolam aurait encore une fois eu raison. Il n’aurait plus été l’homme que le pays avait connu durant son premier mandat. Il aurait vieilli et très mal en plus. Six ans et une traversée du désert auraient suffi à mollifier la fermeté du jeune Premier ministre qui avait exigé une si grande probité de ses ministres qu’il n’hésita pas à jeter deux d’entre eux à la poubelle de l’histoire à la veille des élections générales de 2000.

La République avait été fière alors d’avoir un homme moderne à la barre, qui inspirait le respect de par sa volonté de moderniser le pays et d’instaurer des mœurs politiques westminstériennes.

La tentation éhontée de dessaisir l’inspecteur Tuyau de ses dossiers à la police des Jeux pour la deuxième fois consécutive démontrerait aujourd’hui que l’homme d’Etat moderne a cédé sa place à un vieux potentat qui exhibe du mépris pour ceux qu’il gouverne. L’opprobre qu’une telle démarche aurait attirée au pays en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, aurait nui à l’image d’une place financière qui se prétend respectable.

Mais la tentation ne surprenait pas. On pouvait, dès le départ, déceler ce virage vers un Etat louche avec la décision ramgoolamienne de se défaire totalement de tout processus de passation de marché transparent concernant les grands contrats entre l’Etat et le privé. Le processus rodé de “Request for Proposals” au sein du CEB, qui a durant les cinq dernières années forcé la concurrence entre les “Independent Power Producers” afin d’obtenir “value for money” pour le contribuable sur de très gros contrats, a été remplacé par un système opaque à souhait qui permet tout les passe-droit qu’on peut deviner. Le lait, l’électricité, les produits pétroliers de la STC (et la liste est longue), tout se fait aujourd’hui à la tête du client ou pire. Le comble c’est qu’on nous prend pour un peuple imbécile qui gobe l’intox travailliste selon laquelle un système opaque de grès à grès avec les petits copains du pouvoir est à l’avantage de l’Etat. L’attribution des gros contrats sans appel d’offres est visiblement une telle aubaine pour ce gouvernement qu’on se demande si l’existence du Central Tender Board lui-même n’en est pas menacée.

L’arrogance d’un ministre du Tourisme qui refuse aux parlementaires des réponses qui leur sont dues concernant le CEO du transporteur national suit la même impudence. Tout cela est possible parce que Navin Ramgoolam se sent très fort politiquement. Au lieu de continuer à utiliser cette confiance à bon escient, comme il l’a fait au sujet du budget Sithanen, il défie l’opinion publique avec un cynisme qui dirait, à l’instar du patron de la MBC: “Si ça vous dérange de me voir simultanément sur les trois chaînes de télévision nationale, vous n’avez qu’à éteindre la vôtre !”

Le PM a tort. D’abord la tolérance qu’il démontre vis-à-vis de ces brebis galeuses ne peut que le diminuer aux yeux de ses propres troupes. On respecte un chef qui sait faire la différence entre le bon grain et l’ivraie et qui sait sévir quand il le faut. On ose espérer qu’il existe dans l’entourage du PM une majorité de gens corrects. Ceux-ci ne pourront pas s’empêcher d’être démotivés de suivre le droit chemin pour finir dans le même panier que les scélérats de la classe politique. Un vrai leader a la mission sacrée d’éviter cela.

Le PM a ensuite tort parce qu’au bout de douze mois au pouvoir, le pays peut constater que ce gouvernement n’a encore rien réalisé de positif, à part des bonnes intentions qui ont été énoncées lors du budget il y a un mois seulement. La majeure partie de ces intentions n’est, du reste, que des intentions pour l’instant. Il est même permis de croire que certaines de ces intentions courageuses sont déjà remises en question quand on sait que les syndicats amorcent un nouveau dialogue avec le Pay Research Bureau qui était censé disparaître avec la venue d’un marché de travail dérégulé.

Mais le PM aurait surtout tort de donner si peu d’importance à la “good governance” parce qu’il est censé remettre un pays en désarroi économique sur les rails et que l’équation essentielle sur laquelle se base son ministre des Finances pour le faire, repose sur la capacité du pays d’adhérer aux principes de bonne gouvernance. Rama Sithanen dit avoir besoin de Rs 160 milliards de l’extérieur pour remettre l’économie à flot. Comme on est loin de pouvoir compter sur des FDI ou encore une avalanche d’“equity capital” dans la Bourse de Port-Louis, la majeure partie de cet argent devra provenir des bailleurs de fonds. Ceux-là se nomment European Investment Bank, Union européenne, Banque mondiale et Fonds monétaire international et chaque sou transféré a un “string attached”.

La tâche ingrate de Rama Sithanen sera de convaincre l’Union européenne (UE) de permettre à Maurice de bénéficier de mesures d’accompagnement économiques au-delà des 15 % de plafond imposés par les européens suite à l’effondrement du prix du sucre. Si l’UE venait à accéder à cette demande, l’excédent accordé à Maurice serait un manque à gagner cruel pour des pays extrêmement pauvres au sein des ACP. On ne convaincra pas les Européens de notre dénuement relatif à ces pays quand nous affichons une prodigalité et un manque de rigueur indécents dans la demeure.

De plus, l’aide européenne durant le neuvième FED était sectorielle. Il privilégiait le gros dossier du tout-à-l’égout. Le dixième FED, lui, se fera par un apport budgétaire direct à l’Etat qui garantira un droit de regard de l’UE sur nos pratiques budgétaires et autres gros contrats que signe l’Etat avec le privé. Les Européens finiront un jour par nous faire comprendre que les fonds de leurs contribuables, qu’ils mettent gracieusement à la disposition d’un pays comme le nôtre, ont des limites et que cette limite est atteinte quand un pays démontre une incapacité de transparence et de bonne gouvernance.

Il y a ensuite la Banque européenne d’investissement (BEI), qui était l’adjudicataire des mesures d’accompagnement qui nous colla un plafond de 15 %. Un représentant de cette institution nous visite régulièrement de par la participation de la BEI aux investissements de la Cargo Handling Corporation et d’Airports of Mauritius. Au-delà même des ambassades des pays de l’UE à Maurice, le représentant de la BEI est le partenaire privilégié de la Commission européenne. Or, c’est un monsieur qui fut indigné par le traitement que subit Cash, professionnel de niveau international, aux mains de M. Vijay Poonoosamy. Il doit être très impressionné aujourd’hui par le nouveau CEO qui a démontré que sa priorité à AML réside, comme ce fut le cas chez Poonoosamy, dans le nombre de chevaux de sa voiture de fonction. Si la connaissance de ces messieurs en matière aéroportuaire dépassait ce que peut contenir le dos d’un timbre-poste, on pourrait convaincre la BEI de faire la part des choses et de ne pas trop s’inquiéter pour les milliards qu’elle consent à prêter à AML.

Mais, plus grave encore, c’est ce représentant de la BEI qui fut visiblement choqué d’apprendre que le contrat de la centrale thermique de Belle-Vue fut octroyé en 2000 sans aucun appel d’offres, alors que la BEI y était partie prenante. On devine ce qu’il pourra conseiller à M. Mandelson que rencontre Rama Sithanen en ce moment, quand il lui apprendra qu’une demi-douzaine de projets d’“Independent Power Producers”, les uns plus mirobolants que les autres, ont reçu l’aval d’un gouvernement quémandeur d’aide de l’UE dans l’opacité la plus complète.

Le docteur Ramgoolam aurait donc intérêt à comprendre que la bonne gouvernance est de nos jours bien plus qu’une question d’éthique ou même d’esthétique. Il peut se croire le roi Pétaud à Maurice, mais s’il persiste à donner de mauvais signaux aux observateurs internationaux, ils lui retireront leur soutien bien avant qu’un peuple aux réflexes moins lestes ne leur emboîte finalement le pas.