JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

19 July 2006

L’Etat voyou


Par Jean-Mée Desveaux
L’express du 19 juillet 2006

Le plus grand pessimisme est de mise pour l'avenir de ce pays. La survie d'un Etat repose essentiellement sur l'indépendance des gouvernants vis-à-vis des groupes de pression qu'il est censé garder dans les rangs. Quand cette souveraineté est assujettie aux pressions de la pègre, l'Etat de droit fout le camp et cède sa place à l'Etat voyou.

L'État avait pris un pari risqué en s'attaquant de front aux véreux du Champ-de-Mars en 2002. Dans un désir d'assainir les courses hippiques, il avait mis en place toute une stratégie qui visait à contenir les excès mafieux de certains éléments du Champ-de-Mars et les bookmakers sans scrupules, leurs alliés. Une rigoureuse police des jeux fut instaurée, un software server imposé aux bookies et le Tote off course autorisé pour dissuader les paris illégaux. Ces mesures avaient soulevé une résistance farouche chez les bookmakers organisateurs defixed odd betting par qui le scandale arrive. Mais le gouvernement tint bon.

Dire que le gouvernement MSM-MMM a perdu les élections parce que les bookies ont arrosé l'Alliance sociale serait une exagération. Ce qui compte, c'est la perception qu'énormément d'argent a circulé durant la dernière campagne afin de leur infliger un tel châtiment que tous les politiciens se souviennent longtemps qu'ils ont intérêt à respecter les seigneurs du jeu qui peuvent faire et défaire un gouvernement à leur guise. La leçon a marché, comme on le constate :

1)            L'ex-ministre des Finances Bunwaree n'étant pas au courant que les chèques sont fait exprès pour éviter de transporter du liquide sur soi, excuse les paris à crédit : "Ily a un problème de sécurité en ce qui concerne les gros joueurs qui vont jouer au Champ-de-Mars.... Ils viennent avec des centaines de milliers de roupies... Il faut se mettre à la place des joueurs". Le ministre est un bon patriote qui s'inquiète de l'apport que représentent les jeux au sein de l'économie.

2)            L'ASP Radhoa, qui a ses entrées au bureau du PM, considère lui aussi que les attributions du Horse Racing Board doivent être revues pour permettre les paris à crédit. Il reconnaît avoir été approché pour remplacer le remuant Inspecteur Hector Tuyau qui crée tant de controverses avec ses "opérations coup de poing". Epidermique comme d'habitude, il compte éclaircir, au niveau d'un serveur inexistant au MTC, l'affaire des CD, insinuant que cette histoire a plus à faire avec "les gros paletots du MTC" qu'avec les bookmakers...

3)            Le Horse Racing Board, dont le président est choisi par le pouvoir, prend le temps qu'il veut pour répondre à l'Adsu qui lui a réclamé tous les returns soumis par le bookmaker Joomun afin de contre-vérifier la teneur des CD. Ce refus de coopération est grave et va à rencontre de l'intérêt du HRB, car l'Adsu doit pouvoir démontrer que les paris à crédit sur les CD n'ont pas été enregistrés sur le serveur du HRB. De plus, le même HRB s'apprêterait - première mondiale - à parlementer avec les bookmakers afin de légaliser le crédit betting. Le HRB qui aurait, en ce faisant, perdu son intégrité institutionnelle, devra, pour ce faire, pousser la complaisance jusqu'à légaliser le pari à crédit de façon rétroactive. Il est évident que ce n'est qu'à ce prix qu'on arriverait à blanchir les fameux notables, sans oublier M. Joomun qui, outre la liste gravée sur CD, doit avoir, gravé, dans sa mémoire, de quoi faire perdre le sommeil à beaucoup de nos princes.

4)            Il y aussi le flou autour de ce qui empêche l'Adsu de demander à un juge l'autorisation de vérifier les appels sur le téléphone du bookmaker. Que l'homme de loi du suspect pense que ce serait là une attaque au droit fondamental de la vie privée est tout à fait naturel. L'Adsu doit permettre au pays de constater si ce point de vue, pour le moins équivoque, est partagé par le judiciaire qui n'a jusqu'ici pas eu de raisons de rougir de ses décisions.

5)    Cette liste de la bonne fortune du bookmaker et de ses clients louches se serait heurté à un obstacle majeur si les CD avaient livré leur secret de façon immédiate et complète. Mais ils doivent être très mal­heureux en amour car leur chance inouïe aux jeux continue. Après avoir essayé de nous faire croire qu'un "CD read-only"peut être infecté d'un virus, c'est aujourd'hui  le programme sur le computer de l'Adsu qui s'est soudainement auto-infecté. Mais pourtant, contrairement à des données qui, une fois corrompues sont perdues à jamais, un pro­gramme lui se remplace par un autre du même genre. Mais, Big Brother est là qui surveille la liste des protégés de l'Etat. Ainsi, des hommes du service de renseignements se sont rendus à la cybertour samedi et ont terrorisé un informaticien du privé qu'on soupçonnait vouloir révéler le nom des notables en question.

6)        Last but not least, le Premier ministre de la République a per­sonnellement démenti la présence des membres du gouvernement sur les fameux CD de parieurs à crédit et rappelé qu'une loi bâillon­nerait bientôt la presse, ce qui souligne donc où le PM situe l'intérêt de son gouvernement vis-à-vis du scandale.
Navin Ramgoolam n'est pas le seul à vouloir taire les excès de ceux qui s'enrichissent de façon hautement illicite aux courses. Lorsque nous avions mis le doigt précédemment sur les égouts du Champ- de- Mars, des propriétaires de chevaux s'étaient offusqués. Nous leur avons donné neuf raisons de modérer leur assurance. Nous nous devons d'aller plus loin car il y va, entre autres, du blanchiment d'ar­gent de la drogue qui tue nos enfants et cela, fait inhabituel chez nous, sans discrimination aucune.

Faire un pari à crédit, c'est essentiellement jouer avec de l'argent qu'on ne possède pas... encore! Un bookmaker mal intentionné s'ap­proprie la volonté d'un homme et son allégeance avec un tuyau encore plus facilement que le vaudou ne crée sa momie. Il vous passe le tuyau d'un cheval qui "ne peut pas perdre". Vous y croyez tellement que vous misez "avec des centaines de milliers de roupies"(Bunwaree dixit). Votre cheval perd et vous êtes assis sur une dette que vous ne pouvez pas honorer. Aucun problème. Votre gentil bookmaker vous permet de vous rattraper mais à la fin de la saison vous lui êtes redevable d'une somme qui dépasse les millions. Vous avez alors le choix. Si vous avez un peu de patrimoine, vous pouvez vendre la voiture ou la maison familiale. Si cela est trop pénible, il vous reste le choix de lui donner un petit coup de main de temps en temps au sein de votre activité pro­fessionnelle peu importe quel que soit votre secteur d'opération. Tout le pays se gangrène ainsi, petit à petit, autour des paris à crédit, à pre­mière vue si anodin. Ce phénomène, ajouté à celui du financement politique, suffit à mettre tout un pays à genoux. Que cela ne semble pas du tout émouvoir la population explique l'audace des princes de l'Etat pour qui cette apathie nationale est une manne.

Dans un pays où 70 % des chevaux appartiennent aux bookma­kers ; où un homme du pouvoir s'affiche avec l'élément le plus dan­gereux de la pègre des jeux, celui-là même qui bien que banni du Champ-de-Mars possède une dizaine de chevaux et "organise la stra­tégie" des courses d'au moins deux écuries ; où le jockey retire son pied de l'étrier pour ramener docilement le favori au paddock, ce pays-là prend des allures d'un endroit où il ne fera pas toujours bon vivre.

L'ancien jeune patron de l'Icac avait démontré, dès la première semaine où l'affaire Lesage a éclaté, qu'il n'avait pas l'étoffe requise pour cette illustre position. Il n'avait pas trouvé nécessaire de renvoyer son cours de formation d'une semaine à Londres pour s'atteler au plus grand scandale financier du pays. On pouvait déjà prédire que .M. Lesage continuerait à vivre tranquille et que M. Appassamy ne viendrait pas de sitôt au pays à moins que ce ne soit de son plein gré.

Aujourd'hui que le plus gros scandale des courses truquées et des paris à crédit compromet les plus grandes têtes du pays, la nation toute entière se tourne vers le nouveau patron de l'Icac. S'il ne juge pas qu'il existe assez d'éléments pour que cette institution se saisisse de ce dossier, il donnera l'impression d'être disposé à être encore plus docile envers Navin Ramgoolam que ne l'était son prédécesseur vis- à-vis de sir Anerood Jugnauth, ce qui n'est pas peu dire.

No comments:

Post a Comment