l'express du 17/05/2006
Par Jean-Mée DESVEAUX
Avec Rs 5 milliards de dettes vis-à-vis des institutions financières locales et internationales, en sus des Rs 2 milliards de déficit accumulé, le Central Electricity Board (CEB) donne des sueurs froides au ministre des Finances qui attribue, du reste, un déficit de 2 % additionnel du budget de l’état aux autorités para-étatiques, dont principalement le CEB.
Il a toujours été clair pour ceux qui appréciaient le schéma global de notre économie que si le CEB éternuait, c’était le pays tout entier qui s’enrhumait. C’est pour cela que, sous la présidence du professeur Swaley Kassenally d’abord et du docteur Baguant ensuite, le CEB a suivi entre 2000 et 2005 une indépendance institutionnelle dans sa politique énergétique et ses grands axes stratégiques qui frisait la sécession tant elle se démarquait des objectifs à courts termes purement politiciens.
C’est ainsi qu’une grande première eut lieu en termes de bonne gouvernance quand le conseil d’administration du CEB prit la décision que tous les nouveaux contrats des Independent Power Producers (IPP) seraient accordés strictement sur une base de mérite, en libre concurrence des forces du marché avec des critères et des méthodes transparents et connus de tous à l’avance. Ces Requests for Proposals (RFP) mettaient en compétition, sur la même ligne de départ, les industriels intéressés à fournir de l’électricité au réseau national, quelle que soit leur technologie ou la capacité offerte.
Le premier IPP à sortir de ce concours fut la centrale de charbon de St-Aubin qui remporta la joute devant un projet situé dans le port, piloté par M. Suzor. Les forces opaques qui prévalaient jusque-là dans ces passations de marché eurent beau essayer mais elles ne purent arrêter un nouvel exercice de RFP qui donna le jour cette fois à la centrale de Savanah. Chacun de ces deux contrats, totalisant près de cinq milliards de roupies, fut remporté par des candidats dont la victoire reposait strictement sur le mérite technique et financier du projet. Par définition, l’investisseur n’avait de reconnaissance vis-à-vis de personne !
Cela contrastait avec la situation qui prévalait jusqu’à 2000. Là, un investisseur disposant de quelques milliards pour un projet énergétique faisait face à quelques officiels de l’état dans une approche de gré à gré. Cette absence de méthode transparente allait coûter cher au CEB et à l’état.
D’abord n’ayant pas un tableau de bord avec des règles précises, des critères validés et des procédures de recours, les officiels pouvaient jouer au bon dieu vis-à-vis d’un investisseur apeuré. Inversement, l’investisseur, réconforté d’être seul à offrir son service, ne sentait pas la pression du concurrent qui pourrait faire culbuter son projet s’il n’était pas disposé à faire les concessions nécessaires vis-à-vis du CEB.
C’est ainsi que sans conteste, les deux contrats signés entre le CEB et les IPP durant la dernière administration furent des exemples de transparence et apportèrent des avantages autant financiers que logistiques au CEB par rapport aux contrats qui avaient prévalu jusque-là.
Il ne faudrait pour s’en convaincre que d’écouter le président actuel du Board du CEB, Patrick Assirvaden, parler des contrats pre-2000 dans une interview accordée à notre confrère le mauricien au mois de mars. Se référant aux contrats IPP octroyés au gré à gré (Beau-Champ, Fuel, centrale Belle-Vue ), le chairman du CEB dénonce le manque de transparence dans la détermination du prix du courant électrique fourni. Il trouve que les contrats que le CEB a signés “dans le temps” avec les IPP sont aujourd’hui en déphasage avec les réalités économiques du pays.
Se référant au fait que l’électricité produite par certains IPP à partir de la bagasse et du charbon coûte plus cher au CEB que celle fournie par ses propres stations thermiques qui produisent à partir de l’huile lourde, il dit : “Cette situation ne relève d’aucune logique. Ces contrats sont en complète contradiction avec cette politique de rigueur financière que nous voulons insuffler au CEB. Ce sont… les contribuables qui sont en train de subventionner ces opérations du secteur privé dans le domaine de la fourniture électrique. Cette situation n’est ni dans l’intérêt du CEB, ni dans celui de ses consommateurs et encore moins dans celui du pays.”
La philosophie du chairman du CEB est claire : “Nous ne voulons qu’une chose : davantage de transparence entourant ces contrats. Les prix auxquels les IPP nous vendent leur électricité ne peuvent être justifiés que par leurs investissements. à ce jour, personne… n’a pu vérifier le montant exact de ces investissements pour pouvoir justifier le prix demandé.”
Une équipe rodée
Ce prix, monsieur le président, est déterminé par un processus bien rodé de RFP qui donne lieu à une offre moins disante, comme ce fut le cas pour St-Aubin et Savannah. Le CEB a aujourd’hui toutes les ressources humaines et techniques nécessaires pour mener à bien un tel exercice. L’équipe est aujourd’hui rodée après un apprentissage très réussi et le nombre de candidats qui semblent montrer de l’intérêt dans ce domaine ne fait que renforcer la férocité de la concurrence sur le prix final.
Mais que voyons-nous au lieu de cela ? Une série d’accords à l’amiable, de gré à gré plus complaisants les uns que les autres qui vont apporter les mêmes irrationalités contractuelles que ceux du passé contre lesquelles s’érigent aujourd’hui Patrick Assirvaden, qui tente du reste de les réviser au risque de porter atteinte à l’état de droit.
Le nouveau régime de passation de marché énergétique du gouvernement mauricien pourrait être qualifié : “les copains d’abord”. Nous avons d’abord Suzlon, projet de Rs 900 millions, dont la genèse et la logique s’apparentent plus à la volonté diplomatique de faire plaisir à Mother India que de pure logique énergétique. Un projet d’énergie éolienne à Maurice n’est pas fiable 24 heures sur 24. Le CEB devra donc toujours garder une unité disponible en back-up pour entrer en action quand Suzlon cesse de produire de l’énergie.
Ce back-up représente un coût pour le CEB qui implique que le prix “à bien plaire” du courant à être payé à Suzlon devra être logiquement nettement inférieur aux autres unités. Est-ce que les considérations diplomatiques qui ont prévalu dès le départ dans ce dossier permettront la mise en place d’un prix économiquement réaliste ? Il y a un projet malaisien. Il y a aussi aujourd’hui Médine qui s’est souvent abstenue de se mettre en concurrence en RFP avec les autres sucreries. Et si cette sucrerie avait du mal à être compétitive avec les unités comme Union St-Aubin et Savannah au niveau du prix ?
Mais il y a aussi, parmi tant d’autres, celui qui soulève des questions de tous genres : le projet Waste to Energy de Gamma. Selon un quotidien du 18 mars, le CEB avait rejeté le projet Waste to Energy qui se propose d’incinérer 80 % des déchets du pays. “Dans son rapport, le CEB souligne les anomalies ainsi que les manquements techniques et économiques du projet. Le CEB a conclu que le projet n’était pas concluant et qu’il risque d’exacerber sa situation financière déjà critique… Le modèle financier proposé par Gamma-Covanta est loin de satisfaire le CEB. Celui-ci prévoit un décaissement trop élevé pour l’achat de l’électricité avec les promoteurs…. Surtout lorsque le CEB compare les prix proposés par des éventuels IPP qui sont à moitié inférieurs du prix de Gamma-Covanta.”
N’ayant vu aucun démenti de la part du CEB suite à cet article du 18 mars, nous présumons que ce quotidien a correctement rapporté le travail bien fait du CEB. Ce serait donc la lourde main de l’Hôtel du gouvernement qui aurait décidé que la logique économique et la rationalité du Board n’avaient pas préséance sur d’autres considérations de copinage politique. Donc, à la veille de la visite de la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds internationaux qui jugeront de notre volonté d’abandonner nos méthodes de pays sous-développé, le gouvernement a décidé de faire un bond de cinq ans en arrière pour la passation des milliards du marché de l’énergie.
Il est donc temps, monsieur le président, qu’on vous rappelle votre promesse au pays lors de l’interview que vous donniez le 4 mars à le mauricien : “Dans tous prochains accords que le CEB signera à l’avenir avec le secteur privé, si le CEB n’en sort pas gagnant, je prends l’engagement en tant que président, de faire savoir à la population que je ne suis pas d’accord… Je ferai savoir que le CEB n’est pas d’accord de payer le courant à ce prix-là.” Nous vous écoutons.
Par Jean-Mée DESVEAUX
Avec Rs 5 milliards de dettes vis-à-vis des institutions financières locales et internationales, en sus des Rs 2 milliards de déficit accumulé, le Central Electricity Board (CEB) donne des sueurs froides au ministre des Finances qui attribue, du reste, un déficit de 2 % additionnel du budget de l’état aux autorités para-étatiques, dont principalement le CEB.
Il a toujours été clair pour ceux qui appréciaient le schéma global de notre économie que si le CEB éternuait, c’était le pays tout entier qui s’enrhumait. C’est pour cela que, sous la présidence du professeur Swaley Kassenally d’abord et du docteur Baguant ensuite, le CEB a suivi entre 2000 et 2005 une indépendance institutionnelle dans sa politique énergétique et ses grands axes stratégiques qui frisait la sécession tant elle se démarquait des objectifs à courts termes purement politiciens.
C’est ainsi qu’une grande première eut lieu en termes de bonne gouvernance quand le conseil d’administration du CEB prit la décision que tous les nouveaux contrats des Independent Power Producers (IPP) seraient accordés strictement sur une base de mérite, en libre concurrence des forces du marché avec des critères et des méthodes transparents et connus de tous à l’avance. Ces Requests for Proposals (RFP) mettaient en compétition, sur la même ligne de départ, les industriels intéressés à fournir de l’électricité au réseau national, quelle que soit leur technologie ou la capacité offerte.
Le premier IPP à sortir de ce concours fut la centrale de charbon de St-Aubin qui remporta la joute devant un projet situé dans le port, piloté par M. Suzor. Les forces opaques qui prévalaient jusque-là dans ces passations de marché eurent beau essayer mais elles ne purent arrêter un nouvel exercice de RFP qui donna le jour cette fois à la centrale de Savanah. Chacun de ces deux contrats, totalisant près de cinq milliards de roupies, fut remporté par des candidats dont la victoire reposait strictement sur le mérite technique et financier du projet. Par définition, l’investisseur n’avait de reconnaissance vis-à-vis de personne !
Cela contrastait avec la situation qui prévalait jusqu’à 2000. Là, un investisseur disposant de quelques milliards pour un projet énergétique faisait face à quelques officiels de l’état dans une approche de gré à gré. Cette absence de méthode transparente allait coûter cher au CEB et à l’état.
D’abord n’ayant pas un tableau de bord avec des règles précises, des critères validés et des procédures de recours, les officiels pouvaient jouer au bon dieu vis-à-vis d’un investisseur apeuré. Inversement, l’investisseur, réconforté d’être seul à offrir son service, ne sentait pas la pression du concurrent qui pourrait faire culbuter son projet s’il n’était pas disposé à faire les concessions nécessaires vis-à-vis du CEB.
C’est ainsi que sans conteste, les deux contrats signés entre le CEB et les IPP durant la dernière administration furent des exemples de transparence et apportèrent des avantages autant financiers que logistiques au CEB par rapport aux contrats qui avaient prévalu jusque-là.
Il ne faudrait pour s’en convaincre que d’écouter le président actuel du Board du CEB, Patrick Assirvaden, parler des contrats pre-2000 dans une interview accordée à notre confrère le mauricien au mois de mars. Se référant aux contrats IPP octroyés au gré à gré (Beau-Champ, Fuel, centrale Belle-Vue ), le chairman du CEB dénonce le manque de transparence dans la détermination du prix du courant électrique fourni. Il trouve que les contrats que le CEB a signés “dans le temps” avec les IPP sont aujourd’hui en déphasage avec les réalités économiques du pays.
Se référant au fait que l’électricité produite par certains IPP à partir de la bagasse et du charbon coûte plus cher au CEB que celle fournie par ses propres stations thermiques qui produisent à partir de l’huile lourde, il dit : “Cette situation ne relève d’aucune logique. Ces contrats sont en complète contradiction avec cette politique de rigueur financière que nous voulons insuffler au CEB. Ce sont… les contribuables qui sont en train de subventionner ces opérations du secteur privé dans le domaine de la fourniture électrique. Cette situation n’est ni dans l’intérêt du CEB, ni dans celui de ses consommateurs et encore moins dans celui du pays.”
La philosophie du chairman du CEB est claire : “Nous ne voulons qu’une chose : davantage de transparence entourant ces contrats. Les prix auxquels les IPP nous vendent leur électricité ne peuvent être justifiés que par leurs investissements. à ce jour, personne… n’a pu vérifier le montant exact de ces investissements pour pouvoir justifier le prix demandé.”
Une équipe rodée
Ce prix, monsieur le président, est déterminé par un processus bien rodé de RFP qui donne lieu à une offre moins disante, comme ce fut le cas pour St-Aubin et Savannah. Le CEB a aujourd’hui toutes les ressources humaines et techniques nécessaires pour mener à bien un tel exercice. L’équipe est aujourd’hui rodée après un apprentissage très réussi et le nombre de candidats qui semblent montrer de l’intérêt dans ce domaine ne fait que renforcer la férocité de la concurrence sur le prix final.
Mais que voyons-nous au lieu de cela ? Une série d’accords à l’amiable, de gré à gré plus complaisants les uns que les autres qui vont apporter les mêmes irrationalités contractuelles que ceux du passé contre lesquelles s’érigent aujourd’hui Patrick Assirvaden, qui tente du reste de les réviser au risque de porter atteinte à l’état de droit.
Le nouveau régime de passation de marché énergétique du gouvernement mauricien pourrait être qualifié : “les copains d’abord”. Nous avons d’abord Suzlon, projet de Rs 900 millions, dont la genèse et la logique s’apparentent plus à la volonté diplomatique de faire plaisir à Mother India que de pure logique énergétique. Un projet d’énergie éolienne à Maurice n’est pas fiable 24 heures sur 24. Le CEB devra donc toujours garder une unité disponible en back-up pour entrer en action quand Suzlon cesse de produire de l’énergie.
Ce back-up représente un coût pour le CEB qui implique que le prix “à bien plaire” du courant à être payé à Suzlon devra être logiquement nettement inférieur aux autres unités. Est-ce que les considérations diplomatiques qui ont prévalu dès le départ dans ce dossier permettront la mise en place d’un prix économiquement réaliste ? Il y a un projet malaisien. Il y a aussi aujourd’hui Médine qui s’est souvent abstenue de se mettre en concurrence en RFP avec les autres sucreries. Et si cette sucrerie avait du mal à être compétitive avec les unités comme Union St-Aubin et Savannah au niveau du prix ?
Mais il y a aussi, parmi tant d’autres, celui qui soulève des questions de tous genres : le projet Waste to Energy de Gamma. Selon un quotidien du 18 mars, le CEB avait rejeté le projet Waste to Energy qui se propose d’incinérer 80 % des déchets du pays. “Dans son rapport, le CEB souligne les anomalies ainsi que les manquements techniques et économiques du projet. Le CEB a conclu que le projet n’était pas concluant et qu’il risque d’exacerber sa situation financière déjà critique… Le modèle financier proposé par Gamma-Covanta est loin de satisfaire le CEB. Celui-ci prévoit un décaissement trop élevé pour l’achat de l’électricité avec les promoteurs…. Surtout lorsque le CEB compare les prix proposés par des éventuels IPP qui sont à moitié inférieurs du prix de Gamma-Covanta.”
N’ayant vu aucun démenti de la part du CEB suite à cet article du 18 mars, nous présumons que ce quotidien a correctement rapporté le travail bien fait du CEB. Ce serait donc la lourde main de l’Hôtel du gouvernement qui aurait décidé que la logique économique et la rationalité du Board n’avaient pas préséance sur d’autres considérations de copinage politique. Donc, à la veille de la visite de la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds internationaux qui jugeront de notre volonté d’abandonner nos méthodes de pays sous-développé, le gouvernement a décidé de faire un bond de cinq ans en arrière pour la passation des milliards du marché de l’énergie.
Il est donc temps, monsieur le président, qu’on vous rappelle votre promesse au pays lors de l’interview que vous donniez le 4 mars à le mauricien : “Dans tous prochains accords que le CEB signera à l’avenir avec le secteur privé, si le CEB n’en sort pas gagnant, je prends l’engagement en tant que président, de faire savoir à la population que je ne suis pas d’accord… Je ferai savoir que le CEB n’est pas d’accord de payer le courant à ce prix-là.” Nous vous écoutons.