L’auteur accueille favorablement le budget du ministre des Finances, Rama Sithanen. Toutefois, selon lui, le grand argentier devrait garder en tête que le capitalisme est dangereux.
Par Jean-Mée DESVEAUX
L’express économie-business
du 14 juin 2006
CE SERAIT injuste de ne pas reconnaître que Rama Sithanen a remporté vendredi le pari que nous lui lancions au début de l'année dans notre colonne intitulée The Wheel of Fortune. Nous y entrevoyions la descente aux enfers. L'homme est une sacrée bête politique malgré tout le bagage de technicien qu'il cultive et projette à outrance. En tant que tel, sa première considération était sa survie politique.
Banni pendant dix ans de son élément naturel par un sort des plus défavorables, il n'a pas hésité de se joindre cyniquement à une équipe de l'Alliance sociale qui prônait sottement une philosophie économique et des mesures propres à catapulter Maurice dans le marasme économique des années 70.
Elu sur une telle plate-forme, il ne lui restait en tant que ministre des Finances, à suivre cet illogisme et devenir le fossoyeur de l'économie nationale ou de forcer une équipe de dinosaures qui, eux, étaient convaincus de la justesse de leur programme, de faire demi-tour. Cette deuxième possibilité restait improbable dans la mesure où Rama Sithanen est ni assez fort politiquement pour dicter ses termes à l'Alliance sociale, ni partisan du "hara-kiri" après dix ans de célibat politique pour menacer, coups de poing sur la table, de prendre la porte si on ne l'écoutait pas.
Qu'il ait donc réussi à convaincre Navin Ramgoolam, avec l'appui de la Banque mondiale et du Fonds monétaire i n t e r n a t i o n a l, démontre une proximité entre les deux hommes qui augure très bien pour le pays. Les mesures impopulaires prises indiquent, de plus, que le Premier ministre (PM) se considère très fort politiquement, ce qui est excellent pour un pays qui doit relever de grands défis avec des politiciens traditionnellement capons. Une autre façon de voir la chose, c'est de dire que le 3 juillet, l'attrape-nigauds a admirablement bien marché. Les nigauds se sont fait attraper bien qu'ils risquent d'être sauvés malgré eux par un retournement de veste du gouvernement en place.
Déjà, l'initiative de se débarrasser de la Development Works Corporation ainsi que des tripartites, indiquait la voie à venir et le virage vers la droite du spectre idéologique. Un pays en proie à de violentes secousses économiques se doit de panser toutes les plaies qui menacent de le saigner à blanc.
En ce qui concerne les tripartites, bien que leurs effets étaient essentiellement de hausser artificiellement le salaire de ceux qui sont au bas de l'échelle et, en ce faisant, de les vouer au chômage, l'annonce d'un marché du travail flexible et basé sur la productivité envoie le bon signal aux observateurs de la chose économique.
En plus de la baisse du prix du sucre et la fin du Multifibre Agreement, les paramètres au sein desquels oeuvrait le ministre des Finances n'étaient pas des plus commodes : d'abord, le temps faisait défaut. Des économies autrement plus fortes que la nôtre ont prouvé que tergiverser devant des problèmes profonds peut mettre un pays à genoux.
Le PM japonais a sorti son économie l'année dernière de deux décennies de performance désastreuse parce que la solution d'un problème bancaire était trop pénible à prendre. Ensuite, les caisses de l'État nécessitaient des fonds, mais donner un coup de frein trop brusque à l'économie pouvait faire plus de mal que de bien.
Il existe une stratégie anti-cyclique en économie qui consiste à presser l'accélérateur (diminution du fardeau fiscal) durant les moments de ralentissement et appliquer les freins (augmenter ce fardeau) quand la croissance s'envole. La situation cornélienne de Rama Sithanen c'est que lui devait remplir les caisses de l'Etat durant un net ralentissement économique. Enfin le cycle parlementaire ne lui permettait pas d'attendre que l'électorat ait oublié les fausses promesses avant de changer de cap.
Jetant un coup d'oeil sur la dette publique, le déficit commercial et la perte de nos préférences, nous faisions référence en début d'année dans cette colonne à la "face cachée de l'iceberg" : la Basic Retirement Pension et la pension du secteur public. "Ce sont là des bombes qui vont littéralement imploser la fabrique socio-économique de ce pays et le gouvernement qui aura prétendu ne pas le savoir gardera une place dans l'histoire du pays pour son infamie.
Est-ce que la roue du destin a donc opéré le demi-tour fatidique sur le pays ? Le temps presse mais en sept mois, le gouvernement ne donne aucune indication sur sa volonté de se dépêtrer de la démagogie pré-électorale qui lui colle à la peau afin de prendre des mesures concrètes pour restructurer la base économique du pays. Pris au piège par son acharnement contre l'essence même de la logique économique qu'est le ciblage (targetting) , il lui sera difficile, voire impossible d'imposer des mesures aussi pénibles que nécessaires à la totalité des pensionnaires et pas juste aux plus aisés comme ce fut le cas pour le ciblage de la BRP "
Ces lignes écrites au début de l'année démontrent à quel point il était improbable alors de voir le gouvernement ravaler sa prétendue phobie pour le ciblage. Et c'est pourtant à l'hôtel du ciblage que le gouvernement a héroïquement ravalé son amour propre en se débarrassant des subsides sur le riz et la farine, économisant quelque Rs 800 millions dont la moitié sera saupoudrée sur une section indigente de la population à la raison de Rs 225 par famille.
Quant à la pension de vieillesse, c'est toute la gamme des bénéficiaires qui devra patienter cinq ans de plus à cause du vieillissement de la population. Ce sont là des mesures nécessaires. Il est encore préférable d'avoir un parti hâbleur à la barre du pays qu'un parti politique consistant qui pratique l'irresponsabilité qu'il a prônée.
Il y a beaucoup de bonnes résolutions dans ce budget. La rationalisation de l’income tax et la disparition des tax incentives, des diverses exemptions ainsi que du pouvoir discrétionnaire du ministre des Finances sont excellentes. L'automatic and silent agreement des permis, bien qu'intéressant, est dangereux pour un pays où tous croient que tout est permis. C'est donc une expérience qu'il faudra suivre de près si nous ne désirons pas faire de notre jungle de béton hérissé et des ventes de terres à la Deelchand, la norme nationale.
L'ouverture internationale est bienvenue bien que la virulence xénophobique du traitement que rencontrent messieurs Cash, Cunningham et Duff nous incite à croire que ce sont là des mesures qui ne sont pas réellement ancrées dans la conviction des dirigeants politiques.
Mais le ministre des Finances a aussi pris des paris périlleux sur lesquels seule la grande roue du temps pourra trancher. Devant une caisse vide du trésor public, il choisit l'audace à la prudence et réduit le taux du Personal income tax ainsi que celui de la corporate tax qui engrangent chacune environ Rs 3 milliards. Il le fait dans la conviction du supply sider que la baisse d'impôt va créer les conditions nécessaires pour booster l'économie. Cela amènerait selon lui, automatiquement une hausse des revenus de l'État. C'est un pari que Ronald Reagan a perdu bien que les risques étaient moindres pour lui car, à ce moment-là, les caisses des États-Unis étaient pleines à craquer !
Il y a aussi un élément d'ordre moral auquel met ainsi fin Rama Sithanen. Même les sociétés les plus capitalistes du monde pratiquent une philosophie selon laquelle la solidarité nationale demande aux mieux lotis de participer davantage au soutien de leurs concitoyens moins fortunés à travers une plus grande contribution à l'État.
Cette progressivité a disparu à Maurice car le contribuable au bas de l'échelle paiera désormais la même proportion de ses salaires que le plus grand chief executive du pays. Ce qui est encore plus fort c'est que ce taux d'imposition de 15 % du petit contribuable devient aussi celui de la corporate tax que paient Rogers et IBL.
Rama Sithanen a pour l'instant saupoudré les indigents ici et là pour essayer de rendre ces mesures moins régressives qu'elles ne le sont en fait, mais ces fanfreluches sont appelées à disparaître un jour alors que les taux, eux, sont institutionnalisés. Dans un bel exercice budgétaire qui mérite d'être salué, le grand argentier semble cependant avoir oublié que le capitalisme est le système le plus susceptible de créer la richesse nationale mais le moins apte à la partager. Les disparités ancrées dans le passé d'une île Maurice à deux vitesses sont si flagrantes que Rama Sithanen a ajouté de l'eau au moulin de ceux qui pourraient, à juste titre cette fois, clamer que nous avons pris le chemin du retour à la loi de la jungle.
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