l'express du 21/06/2006
Par Jean-Mée DESVEAUX
Nous avons la semaine dernière salué l’audace du ministre des Finances et de son patron le Premier ministre pour avoir soumis au parlement un budget qui a de bonnes chances d’éviter les écueils qui menacent notre économie. Ils ont opté pour le parcours difficile plutôt que de continuer à nous mener en bateau. Il s’agit aujourd’hui de se demander si ces messieurs peuvent se fier au dicton qui nous affirme que “la fortune sourit aux audacieux”.
Dans un tour d’horizon au début de l’année, nous disions au sujet des défis qui nous guettent : “Comme dans tous problèmes, il existe une solution idéale et une second best solution. Le principe démocratique voudrait que ce soit l’Alliance sociale qui gouverne pour les quatre ans et demi qui lui restent. La majorité de l’électorat a plébiscité ce gouvernement et il serait triste d’avoir à frustrer cette volonté souveraine. Il serait hautement préférable que le gouvernement reconnaisse que le destin fragile du pays se déterminera, pour le meilleur ou pour le pire durant ce mandat et qu’il prenne ses responsabilités. Mais, pris à son propre piège, on a la nette impression que le gouvernement n’aura pas le courage de prendre seul les mesures urgentes et politiquement très impopulaires d’une réforme structurelle en profondeur. S’il est tenté à ce moment-là de partager le coût électoral de ces mesures draconiennes en invitant une opposition bon enfant à bord, l’optimisme est encore possible.”
Si on croit un instant qu’avec ce qui apparaît dans ce premier budget de l’Alliance sociale, les efforts et les sacrifices des Mauriciens ont atteint leur apogée et qu’à partir de là, ce sera le point mort le long d’une douce descente qui nous mènera à la terre promise, messieurs Sithanen et Ramgoolam auront déjà réussi. Une longue carrière politique en toute quiétude leur serait assurée sans qu’ils aient à partager un quelconque coût électoral avec des partenaires aussi encombrants qu’indésirables.
Mais si on pense plutôt que le 9 juin ce n’était que le premier cran d’une longue ceinture qui a commencé à se resserrer autour de notre obésité nationale, notre boule de cristal politique reste d’actualité. Il y a d’abord le danger que fasse boule de neige l’état d’âme des nostalgiques tel Vishnu Lutchmeenaraidoo.
L’œil rivé sur le rétroviseur, cet ancien ministre des Finances a tristement démontré qu’il a perdu l’audace et la sagacité qui était le sien quand il a remis le pays sur la voie de la croissance au début des années 80. “Sir Veerasamy Ringadoo a eu le courage de reculer sur son budget en 1979. Plus près de nous, Manou Bheenick l’a fait en 1996. Il ne s’agit pas de reculer pour reculer mais de le faire afin d’éviter une crise sociale inévitable avec ces mesures. Je pèse mes mots : avec ces mesures on est en train de jouer avec le tissu social de notre pays.”
C’est pourtant justement l’absence de ces mesures courageuses qui auraient entraîné une baisse drastique du niveau de vie national apte à déchirer le tissu social dans un proche avenir. Monsieur Sithanen n’a qu’à reculer d’une virgule et c’est tout son budget qui y passe, le pays aussi !
Mais, plus que cette nostalgie qui est partagée par les syndicalistes de tout poil, ce qui sépare encore nos dirigeants politiques du succès, c’est que la route des réformes est encore longue. Ce que veut dire Vishnu Lutchmeenaraidoo en disant que ce budget est plus Fonds monétaire international (FMI) que FMI nous échappe, mais ce que tout le monde a pu constater avec la parution du Staff Report sur les “Article IV consultations” la semaine dernière, c’est que le budget est le résultat d’une coopération des plus étroites entre le ministère des Finances et le FMI. Il n’y a rien dans ce rapport du FMI qui ne soit pas dans le budget, d’où sa parution une semaine plus tard.
Cela n’est nullement une cause de raillerie vis-à-vis d’un ministère des Finances copieur qui obéirait à l’institution de Bretton Woods au doigt et à l’œil. Les conclusions de l’analyse du FMI, pages de simulations à l’appui, sont incontournables. Si le pays continue sur sa trajectoire économique, Maurice aura des déficits budgétaires qui chatouilleront la barre des 9 % du produit intérieur brut (PIB) alors que la croissance sera autour de 3 %. Ce scénario appelé baseline, nous mènerait à une dette publique de 84 % du PIB en 2010-2011.
Ce serait la catastrophe car toute la richesse du pays s’engouffrerait dans une spirale infernale de remboursement de la dette. A contrario, en redressant la barque maintenant et en réduisant progressivement le déficit au-dessous de 3 %, nous pouvons espérer, à terme, une croissance dans les 5 % et une dette soutenable du secteur public de 60 % du PIB.
On peut se féliciter, d’abord, qu’il y ait eu un homme là qui comprenne le message car, qui sait, Navin Ramgoolam aurait pu avoir choisi le bon docteur Bunwaree. Il existe, ensuite, une petite différence entre un ministre des Finances audacieux et un fanfaron : seul ce dernier se lance dans le gouffre juste parce qu’il n’apprécie pas la tête de celui qui l’en a averti.
Nous avons de la chance que les fanfaronnades vis-à-vis du FMI n’étaient pas de mise le 9 juin. Il y a raison, en dernier lieu, de se féliciter que le grand argentier n’est pas de ces parlementaires qui, à l’instar de l’honorable demoiselle Deerpalsingh, pensent que tout ce qui provient des institutions de Bretton Woods est forcément néfaste au pays concerné, une forme d’intelligence qu’on rencontre surtout chez ceux ayant fait des études en anthropologie sociale plutôt qu’en sciences actuaires.
Qu’est-ce qui nous fait croire que le “golgotha” est encore long avant la délivrance du pays ? La première réponse se trouve dans le Staff Report. Passant en revue les ajustements fiscaux qui doivent être opérés au sein du “strong reform scenario” pour réduire le déficit budgétaire de 5 % à un niveau au-dessous de 3 % en 2009-2010, le FMI nous révèle très exactement où le resserrage des dépenses peut se faire : à l’item current transfers and subsidies qui doit diminuer de sa tranche gargantuesque de 9,2 % du PIB pour atteindre un niveau plus soutenable de 6 % en 2009-2010.
C’est donc tout simplement Rs 6,4 milliards qui doivent disparaître de cet item en l’espace de trois ans pour balancer les comptes du pays. Le petit commentaire : “The authorities concurred with the main elements of this reform agenda” est aussi significatif. Attention donc aux “user pays measures” à venir. Si monsieur Lutmeenaraidoo me permet le plagiat, on pourrait dire que la disparition des subsides sur le riz et la farine est un “pipi de chat à côté”. ça va faire mal.
La deuxième réponse se trouve dans le budget lui-même ou le leitmotiv retourne avec une régularité hautement significative : le besoin de flexibilité dans le marché du travail qui a offert jusqu’ici une protection outrancière à la main-d’œuvre du pays. “By protecting jobs, we have made it impossible for our younger workers to find employment and those who lose their jobs to get back to work. The inflexibility of some laws and the rigidity of some regulations and practices have consigned tens of thousands of our compatriots to the margins of development. They have been excluded by the very system that purports to protect them”. D’où la référence en au moins dix occasions de “recycling labour” dans le discours du ministre des Finances.
Or, le démantèlement des tripartites n’est rien à côté du futur régime de “hire and fire” qui devrait voir le jour si on doit atteindre l’objectif d’un marché du travail flexible. Nous devrons donc voir dans les mois à venir si, comme en France où les lois se font et se défont à travers des manifestations de rues, les forces syndicales conservatrices vont hypothéquer l’entente qui existe aujourd’hui entre le PM et son ministre des Finances.
Si le thème de l’insécurité institutionnalisée de l’emploi devait prendre le chemin chaotique du Contrat de première embauche français, ils auraient le choix de céder aux forces obscurantistes de la rue mettant une fin abjecte à un projet ambitieux de renouvellement national ou alors ils pourraient faire du pied à une opposition désorientée pour obtenir son soutien. Mais qui sait, le duo Ramgoolam-Sithanen nous a déjà surpris et il pourrait pousser leur hardiesse à confronter tout seul ces prochaines adversités. Leur bonne fortune n’en pâtirait certainement pas.
Par Jean-Mée DESVEAUX
Nous avons la semaine dernière salué l’audace du ministre des Finances et de son patron le Premier ministre pour avoir soumis au parlement un budget qui a de bonnes chances d’éviter les écueils qui menacent notre économie. Ils ont opté pour le parcours difficile plutôt que de continuer à nous mener en bateau. Il s’agit aujourd’hui de se demander si ces messieurs peuvent se fier au dicton qui nous affirme que “la fortune sourit aux audacieux”.
Dans un tour d’horizon au début de l’année, nous disions au sujet des défis qui nous guettent : “Comme dans tous problèmes, il existe une solution idéale et une second best solution. Le principe démocratique voudrait que ce soit l’Alliance sociale qui gouverne pour les quatre ans et demi qui lui restent. La majorité de l’électorat a plébiscité ce gouvernement et il serait triste d’avoir à frustrer cette volonté souveraine. Il serait hautement préférable que le gouvernement reconnaisse que le destin fragile du pays se déterminera, pour le meilleur ou pour le pire durant ce mandat et qu’il prenne ses responsabilités. Mais, pris à son propre piège, on a la nette impression que le gouvernement n’aura pas le courage de prendre seul les mesures urgentes et politiquement très impopulaires d’une réforme structurelle en profondeur. S’il est tenté à ce moment-là de partager le coût électoral de ces mesures draconiennes en invitant une opposition bon enfant à bord, l’optimisme est encore possible.”
Si on croit un instant qu’avec ce qui apparaît dans ce premier budget de l’Alliance sociale, les efforts et les sacrifices des Mauriciens ont atteint leur apogée et qu’à partir de là, ce sera le point mort le long d’une douce descente qui nous mènera à la terre promise, messieurs Sithanen et Ramgoolam auront déjà réussi. Une longue carrière politique en toute quiétude leur serait assurée sans qu’ils aient à partager un quelconque coût électoral avec des partenaires aussi encombrants qu’indésirables.
Mais si on pense plutôt que le 9 juin ce n’était que le premier cran d’une longue ceinture qui a commencé à se resserrer autour de notre obésité nationale, notre boule de cristal politique reste d’actualité. Il y a d’abord le danger que fasse boule de neige l’état d’âme des nostalgiques tel Vishnu Lutchmeenaraidoo.
L’œil rivé sur le rétroviseur, cet ancien ministre des Finances a tristement démontré qu’il a perdu l’audace et la sagacité qui était le sien quand il a remis le pays sur la voie de la croissance au début des années 80. “Sir Veerasamy Ringadoo a eu le courage de reculer sur son budget en 1979. Plus près de nous, Manou Bheenick l’a fait en 1996. Il ne s’agit pas de reculer pour reculer mais de le faire afin d’éviter une crise sociale inévitable avec ces mesures. Je pèse mes mots : avec ces mesures on est en train de jouer avec le tissu social de notre pays.”
C’est pourtant justement l’absence de ces mesures courageuses qui auraient entraîné une baisse drastique du niveau de vie national apte à déchirer le tissu social dans un proche avenir. Monsieur Sithanen n’a qu’à reculer d’une virgule et c’est tout son budget qui y passe, le pays aussi !
Mais, plus que cette nostalgie qui est partagée par les syndicalistes de tout poil, ce qui sépare encore nos dirigeants politiques du succès, c’est que la route des réformes est encore longue. Ce que veut dire Vishnu Lutchmeenaraidoo en disant que ce budget est plus Fonds monétaire international (FMI) que FMI nous échappe, mais ce que tout le monde a pu constater avec la parution du Staff Report sur les “Article IV consultations” la semaine dernière, c’est que le budget est le résultat d’une coopération des plus étroites entre le ministère des Finances et le FMI. Il n’y a rien dans ce rapport du FMI qui ne soit pas dans le budget, d’où sa parution une semaine plus tard.
Cela n’est nullement une cause de raillerie vis-à-vis d’un ministère des Finances copieur qui obéirait à l’institution de Bretton Woods au doigt et à l’œil. Les conclusions de l’analyse du FMI, pages de simulations à l’appui, sont incontournables. Si le pays continue sur sa trajectoire économique, Maurice aura des déficits budgétaires qui chatouilleront la barre des 9 % du produit intérieur brut (PIB) alors que la croissance sera autour de 3 %. Ce scénario appelé baseline, nous mènerait à une dette publique de 84 % du PIB en 2010-2011.
Ce serait la catastrophe car toute la richesse du pays s’engouffrerait dans une spirale infernale de remboursement de la dette. A contrario, en redressant la barque maintenant et en réduisant progressivement le déficit au-dessous de 3 %, nous pouvons espérer, à terme, une croissance dans les 5 % et une dette soutenable du secteur public de 60 % du PIB.
On peut se féliciter, d’abord, qu’il y ait eu un homme là qui comprenne le message car, qui sait, Navin Ramgoolam aurait pu avoir choisi le bon docteur Bunwaree. Il existe, ensuite, une petite différence entre un ministre des Finances audacieux et un fanfaron : seul ce dernier se lance dans le gouffre juste parce qu’il n’apprécie pas la tête de celui qui l’en a averti.
Nous avons de la chance que les fanfaronnades vis-à-vis du FMI n’étaient pas de mise le 9 juin. Il y a raison, en dernier lieu, de se féliciter que le grand argentier n’est pas de ces parlementaires qui, à l’instar de l’honorable demoiselle Deerpalsingh, pensent que tout ce qui provient des institutions de Bretton Woods est forcément néfaste au pays concerné, une forme d’intelligence qu’on rencontre surtout chez ceux ayant fait des études en anthropologie sociale plutôt qu’en sciences actuaires.
Qu’est-ce qui nous fait croire que le “golgotha” est encore long avant la délivrance du pays ? La première réponse se trouve dans le Staff Report. Passant en revue les ajustements fiscaux qui doivent être opérés au sein du “strong reform scenario” pour réduire le déficit budgétaire de 5 % à un niveau au-dessous de 3 % en 2009-2010, le FMI nous révèle très exactement où le resserrage des dépenses peut se faire : à l’item current transfers and subsidies qui doit diminuer de sa tranche gargantuesque de 9,2 % du PIB pour atteindre un niveau plus soutenable de 6 % en 2009-2010.
C’est donc tout simplement Rs 6,4 milliards qui doivent disparaître de cet item en l’espace de trois ans pour balancer les comptes du pays. Le petit commentaire : “The authorities concurred with the main elements of this reform agenda” est aussi significatif. Attention donc aux “user pays measures” à venir. Si monsieur Lutmeenaraidoo me permet le plagiat, on pourrait dire que la disparition des subsides sur le riz et la farine est un “pipi de chat à côté”. ça va faire mal.
La deuxième réponse se trouve dans le budget lui-même ou le leitmotiv retourne avec une régularité hautement significative : le besoin de flexibilité dans le marché du travail qui a offert jusqu’ici une protection outrancière à la main-d’œuvre du pays. “By protecting jobs, we have made it impossible for our younger workers to find employment and those who lose their jobs to get back to work. The inflexibility of some laws and the rigidity of some regulations and practices have consigned tens of thousands of our compatriots to the margins of development. They have been excluded by the very system that purports to protect them”. D’où la référence en au moins dix occasions de “recycling labour” dans le discours du ministre des Finances.
Or, le démantèlement des tripartites n’est rien à côté du futur régime de “hire and fire” qui devrait voir le jour si on doit atteindre l’objectif d’un marché du travail flexible. Nous devrons donc voir dans les mois à venir si, comme en France où les lois se font et se défont à travers des manifestations de rues, les forces syndicales conservatrices vont hypothéquer l’entente qui existe aujourd’hui entre le PM et son ministre des Finances.
Si le thème de l’insécurité institutionnalisée de l’emploi devait prendre le chemin chaotique du Contrat de première embauche français, ils auraient le choix de céder aux forces obscurantistes de la rue mettant une fin abjecte à un projet ambitieux de renouvellement national ou alors ils pourraient faire du pied à une opposition désorientée pour obtenir son soutien. Mais qui sait, le duo Ramgoolam-Sithanen nous a déjà surpris et il pourrait pousser leur hardiesse à confronter tout seul ces prochaines adversités. Leur bonne fortune n’en pâtirait certainement pas.