JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

08 August 1978

L’administration municipale peut-elle justifier l’augmentation de la taxe ?


ENTRETIEN AVEC JEAN-CLAUDE DE L'ESTRAC

 QUI dit mieux? Cela semble être le défi que se jettent mutuellement le gouvernement et les municipalités qui ont eu, ces derniers temps, à emballer leur machine fiscale. Le contribuable s'habituera certainement aux nouvelles augmentations comme il s'est habitué à toutes les autres. L'exercice aura cependant eu un effet permanent dans le sens que l'administration urbaine a soudainement revêtu une importance soulignée sur le plan de la contribution fiscale et sur celui des services.

C'est dans ce climat et peu après l'échéance du 31 juillet de la hausse de la taxe immobilière municipale que l'Express a approché M. Jean-Claude de L'Estrac qui fut maire de la municipalité de Beau-Bassin & Rose-Hill l'année dernière. Celui-ci préside en ce moment la commission du bien-être social et des sports de cette ville.

Propos recueillis par 
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 8/8/1978

Q: II semblerait que l'administration financière des villes se fait de l'hôtel du gouvernement et pas des municipalités, que tous vos projets sont passés à la loupe et sont guillotinés par le gouvernement s'ils ne satisfont pas les critères établis par ce dernier. Est- ce que les municipalités ont mérité ce traitement?

R. Il faut ici remonter à la loi. La Local Government Ordinance, qui régit les municipalités, est une loi complètement dépassée. Il y a eu, du reste, des rapports proposant des changements, comme le rapport "Smale", avec lesquels nous sommes, en partie, d'accord mais qui ont tous été rejetés par le gouvernement. Cependant, il faut dire qu'en raison de l'expérience du passé, on comprend que le gouvernement qui finance les municipalités à 75%, insiste à exercer un contrôle rigoureux sur l'usage que font les municipalités de l'argent du contribuable. A vrai dire, ce contrôle ne nous gênerait pas s'il pouvait se faire avec diligence car nous sommes, ici, conscient de dépenser le moindre sou avec bon sens. Mais il est malheureusement exact de dire qu'avec la cadence actuelle du gouvernement, ce contrôle ne fait que pénaliser le contribuable. Voyez vous-même: bien qu'ayant soumis notre budget de l'année dernière durant la période prescrite par la loi, c'est-à-dire en mai, le budget courant n'a été finalement approuvé qu'en décembre. De plus, certaines de nos priorités ont été amputées. 

En ce qui concerne le budget de développement, que le gouvernement finance à 100%, il se trouve que pour la première fois depuis 1973, aucun projet n'a été approuvé pour l'exercice financier 1977- 78. Ces projets concernaient, entre autres, l'électrification de certaines régions délaissées de Beau-Bassin — Rose-Hill. Le ministre nous a informé que le ministère faisait une étude détaillée de tous les projets approuvés depuis 1973 et qu'à la fin de cet exercice, il déterminerait le volume de financement à être apporté. Il faut dire ici que des 100 millions qui avaient été promis aux municipalités, le chiffre actuel à être alloué à toutes les administrations régionales est descendu à un maigre 12 millions. Il semble donc que les municipalités soient les premiers à écoper des difficultés financières du gouvernement. C'est dans cette optique que nous avons dû réviser le barême de la taxe immobilière que nous avons augmenté de 2% - 7%.

Q. Puisque nous parlons des contraintes imposées aux municipalités par le gouvernement, que pensez-vous de la ''Local Government Service Commission''?

R. C'est encore une fois une tentative du gouvernement central d'enlever aux municipalités certaines de leurs prérogatives. Avec la L.G.S.C., les municipalités n'auront plus le pouvoir de recruter elles-mêmes le personnel. Il est vrai qu'il y a eu, dans le passé, des abus d'autorité qui, dans une certaine mesure, justifient un tel changement. Il serait cependant important de s'assurer que les abus d'autorité ne soient pas maintenant exercés par cette commission. Il est toutefois certain qu'à Beau Bassin — Rose Hill, nous regrettons que cette loi soit introduite car nous avons établi des critères définis avec une structure où sont représentés les groupes minoritaires aussi bien que les groupes majoritaires pour le recrutement du personnel municipal afin que soient admis les meilleurs candidats possibles.

Q. Quel est le pourcentage de votre budget absorbé par les gages et salaires?

R. Il est malheureux d'avoir à dire que 62,49% de notre budget courant passe dans les gages et les salaires.

Q. Il semble donc que cet élément soit le facteur le plus onéreux et le plus sujet à l'inflation dans votre budget. Le rapport "Smale" que vous avez mentionné en bien tout à l'heure a proposé que les municipalités fassent une étude de leurs besoins sur le plan du personnel avant de présenter leurs budgets annuels et que tous les excédents soient transfères à la ''Development Works Corporation’’. Est-ce- que vous êtes prêts, à Beau- Bassin/Rose-Hill, à oeuvrer dans ce sens-là?

R. Nous sommes dans une situation exactement contraire à celle que vous mentionnez. Il existe un manque de personnel et dans le budget que nous avons soumis en 1977, nous avons fait une requête pour une augmentation assez importante du personnel en vue de faire face aux besoins du service de voirie. Le gouvernement n'a pas agréé à cette requête. Mais après qu'on ait insisté, on nous a envoyé quelques éléments de la DWC qui, quoique travaillant pour nous, seraient payés par le ministère.

Q. Il n'y a donc personne à la municipalité de B.B/R.H qui soit sous-utilisée?

R. Cela existe à certains niveaux. Il y a, par exemple, certains fonctionnaires dont les services ne sont pas exploités à cent pour cent. Dans beaucoup de cas, nous avons remédié à la situation. Le problème se posait surtout en relation aux heures supplémentaires qui représentent près de 3% du budget courant. Il y a aussi le système de la tâche d'après lequel un travailleur doit accomplir un certain travail par jour. Nous avons remarqué que cette tâche était souvent moins sérieuse qu'elle aurait pu être et nous avons à ce sujet approché les syndicats concernés qui ont bien coopéré dans la rationalisation de ces tâches.

Q. Avec l'augmentation de la taxe immobilière, les habitants des villes vont certainement s'attendre à recevoir un meilleur service. La municipalité de Beau- Bassin—Rose-Hill est-elle prête à augmenter la qualité et l'efficience de son service proportionnellement à l'augmentation de la taxe?

R. Encore une fois, c'est la situation inverse qui a prévalu ici. Nous avons d'abord amélioré les services et ensuite nous avons augmenté la taxe. Nous ne disons pas que tout est parfait; il reste beaucoup à faire surtout du côté de la voirie, et c'est ce qui nous a décidé à faire l'acquisition de cinq véhicules qui assureraient un service efficient de ce côté-là. Du reste, nous avons fait une refonte totale du système de service et nous avons constitué une équipe spéciale qui s'occupe exclusivement des drains — chose qui n'existait pas avant que nous soyons arrivés. Nous avons aussi trois équipes de réfection des routes. Il faudrait mentionner sous ce chapitre qu'une des plus grandes sources de gaspillage dans ce pays découle de la carence de la Central Water Authority qui crève nos routes avec son système de tuyautage. Il nous arrive assez souvent de voir des routes nouvellement faites par nous être défoncées peu de temps après par la CWA. En général, je pense que les citoyens de Beau- Bassin & Rose-Hill montrent déjà leur appréciation de l'amélioration qui s'est faite au niveau des services municipaux.

Q. Vous venez de risquer un mécontentement général afin de pouvoir boucler votre budget. Il semble que si elles veulent prendre le chemin de l'auto-financement, les municipalités devront continuer à introduire des mesures impopulaires. Le champ d'action des conseillers n'est-il pas limité par le fait que, les élections municipales ayant lieu tous les trois ans, les mesures draconiennes tenteront à disparaître bientôt?

R. Ce n'est pas une question d'avoir peur de prendre des mesures impopulaires. Nous fûmes du reste les premiers à augmenter la taxe immobilière et nous n'avons pas hésité à le faire. Il était évident que c'était un exercice de saine administration qui nous rapporterait les 400 mille roupies nécessaires pour boucler le budget.
Il est cependant utopique d'envisager un financement à 100%.

(M. Jack Bizlall, adjoint maire de la municipalité, qui s'était entre-temps joint à la discussion, fit ressortir les points suivants.)

Quand nous sommes entrés à la municipalité, il y avait trois secteurs déficitaires majeurs: le Plaza, qui faisait des déficits de l'ordre de Rs 120 000 par an, le marché (où les maraîchers payaient 1/4 de sou par livre de légume vendue et le centre commercial. Depuis notre arrivée, nous avons rendu le local du Plaza et le marché rentables — le premier par un nouveau contrat avec l'Allied Cinéma et le second au risque d'une bataille rangée avec les maraîchers, en augmentant le droit d'entrée sur les légumes, le poisson et la viande, droits qui étaient inchangés depuis 1941. Quant au troisième secteur, le centre commercial, les appartements s'y trouvant ont été vendus depuis assez longtemps mais les titres de propriété n'ont pu être remis aux propriétaires jusqu'à l'heure à cause de certains problèmes légaux. Nous avons approché les locataires et nous leur avons demandé de payer les frais encourus pour l'entretien des parties communes de l'immeuble. Il y a aussi notre galerie d'art où nous espérons inaugurer un système d'exposition permanente d'objets d'art pour le compte des artistes mauriciens avec, bien-entendu, un pourcentage revenant à la municipalité. Cela est, je pense, un pas vers l'auto-financement.

Q. Si je comprends bien, vous ne craignez pas les conséquences électorales des mesures prises?

R. (M. de l'Estrac). Les contribuables comprennent, car nous leur expliquons nos raisons. Nous avons inauguré un système de dialogue selon lequel les conseillers et le public se rencontrent et discutent à chaque fois qu'il y a lieu. Par exemple, nous avons convié les citoyens de Beau- Bassin et de Rose-Hill au Plaza pour leur soumettre notre proposition d'augmenter la taxe immobilière. Parmi ceux qui sont venus, nous n'avons pas relevé de critique acerbe ou d'objection majeure contre cette mesure. Quand les gens sont informés, ils comprennent. Il est vrai que nous sommes des politiciens et il nous arrive de penser aux élections mais nous pensons qu'une saine gestion comme celle que nous poursuivons nous sera à la longue plus favorable que l'adoption d'une ligne démagogique. Nous avons peut-être perdu certains électeurs — ceux qui nous ont votés pour des raisons superficielles — mais nous avons certainement gagné ceux qui n'avaient pas fait confiance à une administration MMM et qui aujourd'hui reconnaissent avoir été dans l'erreur.

Q. Le contribuable mauricien qui est saigné à blanc se sent maintenant pris entre deux feux. Ne pensez-vous pas qu'une certaine balance devrait être établie entre les taxes qu'impose le gouvernement et celles qui proviennent des municipalités?

R. Certainement, mais où est le rôle du ministre de l'administration régionale ?La loi à ce sujet devrait être totalement revue afin de combler les lacunes qui ont été maintes fois constatées, en vue de trouver une formule qui corresponde aux aspirations des citoyens. Il y a le rapport 'Smale' qui contient d'excellentes idées. Il s'agit de faire une refonte du système de la taxe municipale.

Q. Existe-t-il une réelle friction entre le gouvernement central et l'administration régionale?

R. (M. deL'Estrac). Nous avons constaté sur ce plan qu'il n'y a pas de friction réelle, ce qui est déjà beaucoup, dans les conditions actuelles. Je pense que les relations cordiales sont dues à la personnalité du ministre aussi bien qu'à l'intérêt de son ministère. Il faut dire cependant que la conjoncture actuelle nous est peu favorable.

(M. J. Bizlall). Il est vrai que nous avons des relations fort correctes avec le ministre et qu'il n'a jamais rien fait pour nous forcer la main. Il n'a, jusqu'ici, jamais embarrassé l'administration dans ses activités. Dans certains cas, il nous a même soutenus. Mais il faudrait essayer de dépasser cette relation 'correcte' en revoyant ensemble les structures municipales.

Q. N'y a-t-il pas une tendance, chez les conseillers, à s'ingérer dans la conduite des activités qui sont les seules prérogatives des officiels de la municipalité?

R. Au départ, nous avons eu certains problèmes car des conseillers, soucieux de prendre leur rôle au sérieux, s'étaient, non pas ingérés, mais informés d'une manière systématique de ce qui se faisait. Cela a handicapé le travail des officiers. A la lumière de cette expérience, de nouvelles règles ont été apportées aux Standing Orders selon lesquelles les conseillers doivent au préalable obtenir l'assentiment du maire avant d'approcher un officiel. Les conseillers peuvent du reste aller vers les présidents des différentes commissions qui connaissent bien les rouages administratifs. Il est nécessaire ici de souligner cependant qu'alors que les fonctions de maire ont été jusqu'ici purement honorifiques — 'Coupe-rubans' — nous avons décidé d'assumer ces fonctions à plein temps. Cela nous a été reproché car, d'après la loi, la fonction administrative du maire s'arrête à la signature des chèques. Nous allons donc, il est vrai, au-delà de ce que la loi nous permet de faire et cela parce que nous avons trouvé qu'elle ne nous permettait pas d'assumer nos fonctions qui sont de surveiller que la politique dictée par le conseil soit appliquée. Du reste, les cinq principaux fonctionnaires de la municipalité sont heureux de pouvoir partager leurs problèmes avec le personnel politique afin de prendre une décision ensemble.

Q. Quelles ont été vos réalisations jusqu'ici?

R. Après avoir expliqué les difficultés auxquelles nous avons à faire face, on pourrait penser que nous n'avons rien fait. Et pourtant, à part même du marché et de la voirie, dont je vous ai déjà parlé, à part de l'amélioration et de la décentralisation des services, nous avons fait beaucoup d'innovations de nature à aider tous les habitants de Beau- Bassin & Rose-Hill. Tout d'abord, nous avons détruit la distinction qui existait, avant nous, entre la nouvelle et l'ancienne ville. Là où il y avait, avant, une certaine discrimination dans le service, nous fournissons un service égal. Avec l'aide du gouvernement français, nous avons lancé quatre écoles maternelles qui sont déjà reconnues comme étant les meilleures de l'île — principalement pour héberger les enfants des familles moins aisées. Nous envisageons la construction de deux nouvelles écoles du même genre. Nous avons décentralisé la bibliothèque. Nous avons remis en état de nombreux terrains de jeux, nous avons inauguré un centre social à Trèfle et par-dessus tout cela, nous avons décommunalisé le sport parmi les 41 clubs sportifs affiliés à la municipalité de Beau-Bassin et Rose-Hill. Aucun club à caractère communal ne peut maintenant se servir du stade de Rose-Hill.

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