JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

14 August 1978

M. Sidambaram : l'esprit d'initiative menacé

Les Mauriciens sont à la merci des bureaucrates car ils ne veulent plus trouver leurs propres solutions à leurs problèmes. Ils se fient au gouvernement pour résoudre des difficultés qu'ils pourraient eux-mêmes aplanir s'ils voulaient seulement s'organiser. ''L'esprit d'initiative qui devrait être une de nos principales ressources naturelles est en voie de disparaître". C'est ce qu'a déclaré, à l'express, M.H. Sidambaram, General Manager de la Banque coopérative de Maurice et figure clé de la coopération à Maurice. Durant la période critique par laquelle le pays passe en ce moment, il est sans nul doute réconfortant d'entendre un Mauricien affirmer que tout un chacun possède le potentiel nécessaire pour résoudre les problèmes qui l'assiègent pourvu qu'il ait la volonté de s'organiser.

Entretien réalisé par Jean-Mée DESVEAUX

l'express du 14/8/1978


Q. M. Sidambaram, qu'est-ce que c'est qu'une société coopérative?

R. Une société coopérative est avant tout une association de personnes ayant un but commun d'ordre économique et social à promouvoir. C'est une organisation qui est constituée d'après une ordonnance qui régit l'administration des sociétés coopératives, et elle possède de ce fait un statut légal. Le mouvement a débuté à Maurice avec l'objectif primordial de promouvoir les intérêts de ceux qui sont économiquement faibles. Nous nous sommes rendus compte, par la suite, que ce terme "économiquement faible" était trop limitatif et nous avons donc modifié notre philosophie afin, cette fois, de promouvoir les intérêts de n'importe quel groupe d'individus. Il est évident, n'est-ce pas, qu'on peut ne pas être économiquement faible mais qu'on a quand même un besoin économique ou social qu'on ne peut satisfaire qu'en se groupant avec d'autres personnes qui partagent aussi ces besoins. Nous avons changé notre optique initiale qui était un peu d'offrir un service restreint à un groupe restreint et aujourd'hui, n'importe qui peut être membre d'une société coopérative


Q. Comment sont organisés les différents types de sociétés coopératives?

R. Laissez-moi faire une comparaison pour vous expliquer la chose plus clairement. Prenez une compagnie privée, par exemple, l'élément le plus important est la contribution financière des actionnaires en vue de tirer des dividendes et de faire un profit. Le pouvoir de direction d'une telle compagnie est lié au nombre d'actions détenues.

Dans les sociétés coopératives, la situation est diamétralement différente. Le capital investi par chaque coopérateur ne détermine pas son pouvoir de direction. Chaque membre a une voix, qu'il ait mis beaucoup d'argent dans la coopérative ou non. C'est un élément démocratique auquel nous tenons beaucoup et cela empêche l'intérêt de qui que ce soit d'être lésé. Et si nous regardons la situation globale, nous voyons que le capital social — argent initial obtenu par la société de ses membres — n'est pas un facteur limitatif dans le développement d'une société coopérative. Si la société a l'objectif voulu, si elle possède la structure nécessaire et qu'elle a le potentiel d'être viable, les moyens financiers nécessaires peuvent être facilement trouvés pour la promouvoir. Le critère principal n'est pas le capital dont dispose la société au départ mais l'assurance d'une bonne gérance. Ce point est d'une importance vitale dans la bonne marche d'une société, mais il a été malheureusement trop souvent ignoré.

Or, les mouvements coopératifs ont mis trop d'accent sur le côté démocratique de leur organisation. Si les sociétés coopératives n'ont pas été jusqu'ici un grand succès, c'est parce que les actionnaires ont toujours eu le pouvoir d'imposer leurs volontés collectives sur les Managers qui sont, eux, chargés de la gérance du mouvement. Il devrait y avoir une distinction entre la gérance et le contrôle par les représentants des actionnaires. Cet élément trop démocratique nuit à la bonne marche des sociétés car on tend souvent à oublier que, pour survivre, les sociétés coopératives doivent avoir comme base les principes du 'business'.

Le gérant d'une boutique coopérative, par exemple, est obligé d'agir comme un homme d'affaires pour rendre sa coopérative rentable. Il doit donc adopter des critères et des normes commerciales. Mais la plupart des membres n'arrivent pas à concevoir cet aspect financier de la coopérative; ils pensent que la coopérative est, en fait, une coopération de secours mutuels. Il est évident que, dans une société coopérative, l'aspect de la rentabilité est étroitement lié à celui du service. Le profit ne joue pas un aussi grand rôle chez nous mais, pour pouvoir servir, il nous faut être viable.


Q. Le mouvement coopératif a pour but de protéger le consommateur de l'exploitation par certains commerçants. N'est-ce pas un peu utopique comme objectif?

R. Nous vivons dans une société démocratique et notre économie est mixte; il est donc légitime qu'un commerçant essaye de tirer le maximum de son commerce. Le consommateur, lui, a des besoins. C'est dans son intérêt de voir comment minimiser ses dépenses et tirer parti au maximum de ses moyens. Il en va donc de son intérêt de s'organiser avec d'autres consommateurs afin de minimiser ou d'éliminer son exploitation par les commerçants. Du reste, même les petits commerçants pourraient se grouper pour se libérer de l'emprise de ceux qui les exploitent.


Q. De qui se libère-t-on, à la fin, si tout le monde se groupe?

R. De l'exploiteur. Un groupe essaye de tirer le maximum des autres groupes. Ceci est peut-être utopique mais je suis un mordu de la coopération et je pense, de toute façon, qu'une rationalisation de tout le désordre sur le marché, actuellement, est possible.


Q. On a souvent parlé de sociétés coopératives multi- fonctionnelles ou polyvalentes comme étant mieux placées pour satisfaire les besoins des coopérateurs. Est-ce que le mouvement a adopté cette idée à Maurice?

R. Pas autant qu'il le faudrait car bien que nous ayons une bonne législation coopérative, la structure du mouvement date du temps colonial et demande donc une réorganisation complète. Le problème est le suivant : Prenez un groupe de petits planteurs qui se sont organisés dans un Single-purpose Cooperative Society en tant que producteurs de cannes. Ils peuvent désormais résoudre leurs problèmes agricoles. Mais ils sont humains, ils ont d'autres problèmes hors de la production agricole. Ils sont aussi consommateurs, ils se servent du transport public, ils ont besoin de crédit durant la période entre-coupe, mais leur société ne peut leur fournir du crédit que pour la production de la canne et il leur faut se joindre à d'autres sociétés coopératives de types différents. Il y a donc une prolifération de sociétés coopératives au lieu d'avoir une seule société multifonctionnelle qui satisferait tous les besoins des membres concernés.


Q. Et qu'est-ce qui vous empêche de changer de structure?

R. Le mouvement a deux ailes: la section officielle représentée par le gouvernement et le ministère des Coopératives et la section inofficielle représentant l'union des coopérateurs. Aucune des deux ailes ne veut changer le système archaïque de la " Single-purpose Cooperative''. Le gouvernement est sous la fausse impression que son pouvoir sur les sociétés coopératives va être diminué avec l'amalgamation. Les coopérateurs, pour leur part, les petits planteurs surtout, sont très traditionalistes. Mais la situation n'est pas désespérée pour autant car, quoiqu'il soit hors de question d'imposer quoique ce soit, nous pouvons faire une campagne de persuasion et de motivation. En ce moment même, nous lançons un projet pilote à Montagne Blanche où les coopérateurs de l'île auront la chance de voir fonctionner une société.


Q. Comment se fait-il que le mouvement coopératif ait été jusqu'ici un mouvement de développement rural. N'a-t-il rien à offrir aux gens des villes?

R. Il est vrai que les gens ont une fausse conception de la société coopérative comme étant uniquement préoccupée par la plantation. Selon cette conception, s'ils n'ont pas de terrain sous culture, le mouvement coopératif n'a rien à leur offrir. Il faut réaliser que ce n'est pas le mouvement qui a préféré se développer dans ce sens, mais que la plus grande demande est tout simplement venue des régions rurales. La demande doit venir de ceux qui sentent le besoin de se grouper afin de promouvoir leurs intérêts. Il y a énormément qui pourrait être fait dans les villes dans le domaine coopératif. Prenez le transport, l'habitation, la consommation et j'en passe, tout cela pourrait être résolu par la constitution des personnes concernées en sociétés coopératives. Je dois dire ici que le gouvernement a joué un rôle très négatif car les Mauriciens ont été encouragés à penser qu'il peut et doit résoudre tous leurs problèmes. Si on pense ainsi, on sera toujours à la merci du bureaucrate. Cette façon de penser tue notre initiative et notre sens de responsabilité. Et c'est dans ce contexte de self-help que le mouvement coopératif peut jouer un rôle déterminant. Il y a, en ce moment, une exploitation scandaleuse des loyers; mais personne ne veut faire l'effort de se mobiliser, de se grouper en société coopérative d'habitation afin de mobiliser les ressources que la Banque de Développement est prête à offrir.


Q. Les boutiques coopératives sont-elles rentables?

R. Il y a trois facteurs à prendre en considération ici:

1° La rentabilité d'une boutique dépend de la participation et de la contribution de ses membres.

2° On enregistre fréquemment des boutiques avec un chiffre d'affaires trop bas pour qu'il puisse être rentable ou rendre service.

3° Il y a toujours la tendance à croire que la boutique coopérative est une association volontaire. La boutique est un business et pour garder sa clientèle, elle doit être en mesure de la servir. Quand une boutique coopérative est enregistrée, on ne tient pas compte de l'aspect d'organisation et de viabilité. On peut même créer un supermarché si on a un chiffre d'affaires potentiel suffisant, si on peut s'assurer un grand nombre de clients. Mais la grande tendance, encouragée par le gouvernement, est d'installer de petites unités non viables. Il est temps de changer cette conception.


Q. Les travailleurs mauriciens montrent-ils de l’intérêt pour le mouvement coopératif ?"

R. Le mouvement coopératif a énormément à offrir aux travailleurs. Malheureusement, ils ne donnent pas assez d'attention à cet aspect de l'organisation sociale pour préserver ce qu'ils ont gagné par leurs actions syndicales. Ils gagnent de l'argent, mais ils ne savent pas le dépenser. Il est urgent que les travailleurs réalisent qu'ils peuvent améliorer davantage leur condition de vie en se groupant. Il y a aussi un manque de coopération et de compréhension de la part des syndicats. Un exemple typique est le dirigeant syndical qui, il y a quinze jours, m'a déclaré que le taux d'intérêt à la Banque coopérative étant le même que dans les autres banques, il ne trouvait pas avantageux de placer ses fonds chez nous plutôt. Quand on se souvient que nous servons l'intérêt des travailleurs, ce genre d'attitude est aberrant.


Q. Les gens ne sont-ils pas réticents d'investir leur argent dans des projets dont la réussite est incertaine?

R. La réussite d'un projet coopératif dépend de la loyauté de ses membres. Il faut d'abord faire une étude de viabilité car la coopérative n'est pas une formule magique pour résoudre un problème. La réussite ou la faillite du projet dépend entièrement des membres eux-mêmes. Il y a aussi une possibilité, pour les sceptiques, de former une société pré-coopérative juste pour voir à quel point les différents membres de la société peuvent travailler ensemble. Si l'expérience est concluante, on peut alors enregistrer le projet d'après les normes légales. Un tel essai aurait pour but de limiter les faillites résultant des conflits personnels; on apprend d'abord à se connaître avant de s'engager légalement et financièrement dans le projet.


Q. On a parlé du mouvement coopératif comme étant "une troisième force" après le secteur privé et le secteur public. Est-ce qu'il est réaliste de parler en ces termes?

R. D'abord, je suis contre le terme 'force', car il laisse entendre un conflit d'intérêt qui n'a pas sa raison d'être; je préfère le terme secteur. Encore une fois, nous avons une économie mixte où le secteur privé, comme le secteur public, jouent un rôle prédominant. Cependant, il y a des excès de part et d'autres, excès qui peuvent être contrôlés ou même éliminés par le secteur coopératif.

Dans le secteur privé, c'est l'esprit du profit qui règne en maître. Dans le secteur public, c'est l'esprit de contrôle et d'accaparement qui prédomine. Dans le secteur coopératif, le motif du profit est étroitement lié à celui du service. Je crois que ce troisième secteur peut contribuer à un équilibre. Il est intéressant, ici, de faire ressortir que la participation, dont parlent beaucoup de gens ces jours-ci, est incompatible avec le système coopératif. La participation se fait avec l'autre partie avec qui le pouvoir de contrôle est obligatoirement partagé tandis que, dans une coopérative, les membres sont seuls à décider des mesures à prendre pour l'amélioration de leurs conditions.


Q : On peut déceler un certain idéal socialiste dans le mouvement coopératif. Est-ce que cela ne présente pas un attrait pour le politicien opportuniste ?

R: Oui, le mouvement coopératif a des aspirations socialistes. Les syndicats améliorent les conditions du travailleur, tandis que les coopératives améliorent leurs modes de vie. Malheureusement, il est vrai de dire que, dans le contexte local, les politiciens ont une tendance à se servir de toutes les structures à base sociale et économique à des fins politiques. Le mouvement coopératif à Maurice groupe près de 20% de la population. Cela présente évidemment un potentiel politique qui nous vaut d'être courtisé par les politiciens. Mais l'objectif primordial du mouvement est de satisfaire les besoins économiques et sociaux de ses membres. Du reste, ce mouvement a toujours été apolitique, nous avons toujours réuni les différentes tendances et les décisions n'ont jamais été influencées par des considérations politiques. Nous formons une entreprise commerciale dont le but est de promouvoir l'intérêt collectif. Il nous faut demeurer "troisième" secteur car si nous penchons du côté de l'État, nous détruisons l'initiative individuelle — c'est l'État qui prend la responsabilité s'il y a une faillite — et si nous penchons du côté du secteur privé, c'est le règne du profit et de l'exploitation.



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